Laurent PERBOS 

Laurent Perbos a fait des études de peinture et il a mené une activité de peintre. Il ne produit plus dans ce genre depuis plusieurs années, mais la peinture a toujours une influence profonde sur ses œuvres. Aucune de ses pièces ne peut être décrite par l'adjectif "pittoresque" - adjectif si ressassé dans le jargon de l'histoire de l'art. Dans l'œuvre de Perbos la peinture a une place privilégiée: elle devient l'origine des questions qui inspirent les projets de l'auteur. Ce n'est pas la représentation picturale ni l'histoire de celle-ci qui l'intéresse mais la découverte de différentes démarches artistiques qui lui permettent de se soustraire à ce champ d'interprétation devenue aujourd'hui si restreint. En même temps, ces nouvelles démarches sont encore étroitement liées à la situation traditionnelle de l'exposition. À la source de œuvres de Laurent Perbos nous retrouvons un dialogue permanent avec la peinture, ses modalités d'exposition (le milieu naturel des genres traditionnels de l'art figuré) et une réflexion sur son rapport aux spectateurs.



La peinture éparpillée


Le bus vient de s'arrêter, les passagers montent et descendent et pendant que tout le monde vaque à ses affaires deux jeunes hommes collent une nouvelle pièce, une peinture de Laurent Perbos sur le bus qui repartira pour le prochain arrêt avec ce fardeau.
Ce geste naïf, le premier des actions illégales en espace publique de Perbos formule une question à la fois poétique et philosophique. D'où proviennent les images? Qu'est-ce qui pousse le jeune créateur à la production de nouvelles images à l'époque d'une culture contemporaine qui s'étouffe sous l'affluence d'informations visuelles?
Ce travail, dans lequel il propose de mettre la peinture en situation et d'examiner la problématique de sa représentation dans la société, résulte d'une considération très sincère, personnelle et simple: la peinture qu'il pratiquait s'éloignait de plus en plus de la réalité quotidienne, vécue. Cette réalité qui l'entourait et que l’on ne pouvait saisir que par les images et qu'il n'aurait pu revenir à la source dans sa peinture qu'en écartant cette réalité-là. La peinture "libérée" par l'action reprend sa place dans le cycle des images, devient la métaphore de l'interaction des deux cultures d'images: populaire et celle d'élite (si on peut encore les opposer sous cette forme de dichotomie).

Expérimentant les démarches artistiques et insistant sur les questions ontologiques il a, en 1997, au travers d'un de ses projets, cherché la réponse à la question sincèrement naïve: "Quoi peindre et comment?"
Tandis que dans les espaces d'exposition le connaisseur au regard aiguisé s'efforce depuis si longtemps de reconstruire le processus de la création, Perbos, pour qui un atelier d'artiste n'est plus l'atelier d'alchimie d'un génie du 19e siècle tout isolé du monde, nous persuade qu’il est partant pour réflexion commune.
Avec l'acharnement d'un chercheur il traque et collectionne les films dans lesquels une peinture apparaît et peu importe qu'elle ne figure qu'à l'arrière-plan ou qu'elle soit "protagoniste" de l'histoire.
Ensuite c'est lui qui tente de rejouer le processus de la création en peignant les toiles ainsi trouvées. Il recrée ces peintures fictives qui n'existaient que sous forme médiatisée et qui ne sont que la représentation schématique, caricaturale de la peinture dans la société.
Il expose les peintures ainsi faites sous forme d'une installation, puis, dans une seconde partie de son travail, il édite une vidéo composée des extraits de films où les peintures traitées apparaissent. Les dialogues originels de ces extraits sont très souvent en étroite relation avec les peintures et les placent comme le sujet central des scènes. La succession des situations esquisse un discours sur l'art de la peinture, plus exactement d'une interprétation à part, faite par un autre médium.


Parmi ses projets questionnant l'identité de l'auteur et la relation entre l'artiste et l'œuvre, le plus approfondi est sans aucun doute celui du Concours de peinture.
Invité à participer à une exposition de peinture il a répondu, non pas en saisissant le pinceau mais organisant un concours de peinture auquel tous ceux qui - à n'importe quel niveau - pratiquaient cet art pouvaient se présenter. Sous le nom de Perbos, dans l'espace mis à sa disposition ont été accrochées les peintures de tous les candidats tentés par l'opportunité de s'exposer. Par ce geste presque insolent de l'appropriation il se sert de ses propres collègues comme des outils pour produire - pour ainsi dire - une peinture. L'objet final qui sera accroché au mur n'est plus en même relation avec son auteur que l'était l'œuvre d'art classique: Perbos devient coordinateur et en jouant ce rôle il fait la tentative de couvrir de peintures les murs de la galerie.



Fantasmes collectifs


La question "D'ou proviennent les images?", qui constitue une de ses préoccupations, le conduira à la formulation de projets traitant la culture populaire et ses mythes.
Ses recherches sur les désirs qui nous sont transmis, qui s'imposent à nous et sur les hantises qui en résultent lui inspirent la création de situations fictives qui deviennent les métaphores consciemment naïves de l'accomplissement du désir. Il cherche les empreintes de la gloire et de la célébrité et de tout ce qui y est associé comme la richesse ou le succès. Et puisqu'il ne remplit pas les conditions nécessaires à l'admission à "la galerie de portraits", il s’introduit simplement et illégalement dans des images aux (ou des) situations emblématiques.

Au coeur la capitale de l'industrie cinématographique, dans un bar réputé pour être le lieu de passage des acteurs d’Hollywood, il accroche sa photographie parmi celles des stars. Ensuite il attend les conséquences et guette le propriétaire qui l'enlèvera dès qu’il s'en apercevra. Il inscrit aussi son nom sur une étoile vide de Hollywood Boulevard - en ajoutant ironiquement l'enseigne de sa profession, la palette du peintre.
À ces projets "pour l'accomplissement des désirs contemporains et collectifs” s'ajoute la série des vignettes autocollantes qui a pour titre “The Walk of Fame”. Dans ce travail il se crée des alter-ego qui, par leur performances sportives, accéderont à la reconnaissance. Cette notoriété leurs offrira la possibilité d'être représentés sur les autocollants dans les emballages de chips ou de fromage. Plus exactement ils y accéderaient parce que toutes les compagnies refusent les portraits des sportifs fictifs ayant pour nom les anagrammes de Laurent Perbos.
S'il faut une performance réelle, tant mieux! L'artiste commence à établir les records du monde les plus absurdes pour qu'il puisse, à juste titre, figurer sur les autocollants des boîtes de corn flakes du petit déjeuner - comble de la reconnaissance. Quelques exemples de ses records individuels: celui du plus grand nombre de bonnets portés sur la tête, celui de mettre le plus de blousons au monde et celui du plus grand nombre de petits pois alignés côte à côte dans l'espace publique.

Dans le ton ironique du projet se manifeste une attitude critique puisque Perbos, même s'il le fait d'une façon ludique et aimable, questionne les performances réelles des personnages connus qui font vivre les désirs, et avec le geste agressif, par lequel il tente de s'introduire dans notre vie quotidienne et y laisser les traces de sa propre personnalité, il revendique la place occupée par ces performances et ces caractères. Quoique ses efforts n'aient pas été couronnés de succès, il a réussit à établir un record incontestable: c'est lui qui possède le plus grand nombre de lettres de refus, une collection magnifique des tournures de la rhétorique du langage d'affaires.

Avec son projet “Celebrety”, mené depuis 1999, dans lequel il expose des objets industriels signés par des personnages célèbres, il examine, une fois de plus, le rôle du culte de la star et les limites de sa légitimation.
Dans la reformulation et dans l'interprétation contemporaine du geste duchampien le rôle de l'art plastique dans la société sera mis en question: seule la signature de l'artiste ne suffit plus pour élever un ready-made au statut de l'œuvre d'art. De ce geste légitimant ne sont capable que les représentants du glamour, les protagonistes des média connus de tous.



Provoquer l'interaction - sport


Laurent Perbos est membre de la génération des artistes débutant dans les années 90 qui ne croient plus au radicalisme artistique des années 60 et qui ne pensent pas pouvoir engendrer directement d'importants changements sociaux par leur art. Malgré une nuance d'ironie et malgré le manque apparent d’idéologies, il se révèle un intérêt pour les problèmes sociaux dans presque toutes ses œuvres dont certaines (qu'il s'agisse d'un projet, d'un objet ou d'une situation) se prêtent même à une interprétation politique. Ce n'est pas par hasard que pour sa série d'objets manipulés il choisira les articles de sport bien connus par tout le monde. Quel est le meilleur point de départ pour créer de nouvelles situations d'échange avec le spectateur si ce n'est le sport; Ces moments de distraction et de jeu introduisent, parmi les murs de white cube, des règles qui, bien qu’elles soient connues de tous, restent tellement éloignées de celles des modalités de l'exposition.

Les raquettes attachées à la table de ping-pong en béton et le distributeur de balles posé à proximité ont pour but de nous débarrasser du sentiment que tout le monde a connu dans son enfance: il manquait toujours quelque chose pour nous empêcher de jouer, soit le balle, soit les raquettes. Mais cette bienveillance se fait payer tout de suite après avoir commencé à jouer: le fil de cinq mètres reliant la raquette à la table limite beaucoup nos possibilités.

Dans une autre série d'objets, celui du jeu de fléchette, le joueur ne peut pas jouer sans gagner. Ce sont trois cibles dont le centre est soit agrandi, soit il est plus proche de nous ou bien la flèchette y est attachée - tout pour nous assurer le succès à l'avance. Au bout de quelques minutes passées à jouer nous nous rendons compte que la réussite ainsi facilité nous prive du plaisir du jeu pour laquelle l'objet a été originairement inventé.
Ainsi la table de ping-pong manipulée "d'une manière très simple" devient par l'intervention de Perbos la métaphore d'une question existentielle. Et si nous voudrions retisser les fils et repenser cette idée dans le contexte de l'art, nous arriverons à la question de la perception de l'art, à la problématique sur laquelle Perbos insiste avec toutes ses pièces: L'art qui se laisse facilement "digérer" et qui ne se base que sur l'effet de l'étonnement et des gags enlève la joie du travail dans lequel nous nous investissons pour accéder à la distraction et à la reconnaissance.

Laissons-nous alors inviter par Laurent Perbos: laissons du temps au jeu !


Judit Molnar, 2003

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