Laurent PERBOS 

CRÉATION CONTEMPORAINE
Titre :
Les olympiades absurdes de Laurent Perbos

Chapô : L’humour et la dérision désignent chez Laurent Perbos un mouvement perpétuel de retraite et d’offensive, face à la nébuleuse du « tout culturel ». Mariant le familier et l’étonnant, l’art et le jeu, ses œuvres cultivent le faux rebond pour désacraliser le rôle de l’artiste.


Aujourd’hui satellite actif de la planète Marseille, Laurent Perbos a d’abord occupé le terrain bordelais. Il pourrait même être l’un des représentants d’une scène tonique et enthousiaste, aux côtés de Frédéric Lathérade et Sébastien Blanco (les deux autres membres fondateurs de l’association Zébra 3 qui pilote l’aventure Buy-Sellf1), mais aussi de Bertrand Peret ou, à sa manière, d’Olivier Paulin, autres acteurs locaux hauts en couleurs et en verve. Ces personnages ont en commun d’être passés par l’école des Beaux-Arts de Bordeaux, au moment où Guadalupe Echevarria en prenait la direction, donnant alors un nouveau souffle et de réelles ambitions à cette institution municipale.

Dandy painting
Étudiant, Laurent Perbos s’essaie à la peinture, admettant tôt, non sans fair-play, ses faiblesses en la matière. Il ne s’obstine pas moins à entretenir son souhait, convoitant la réussite de certains, tout en se persuadant de faire le bon choix. Comment être peintre lorsqu’à l’évidence on ne possède pas une mesure de talent ? Devenu stratège, l’artiste contourne alors le problème épineux du « quoi peindre ? » en utilisant volontiers la dérision comme liant à l’assemblage chaotique des propositions. Le créateur se fait usurpateur assumé et le fantasque effleure le grotesque. Ainsi naît une compilation loufoque de copies de tableaux visibles dans des films (Peintures vues dans les films, 1997), de même que la création d’un concours de peinture lui permet de présenter « le plus beau tableau » lors de l’exposition Art. 425 à la galerie du Triangle (galerie de l’école des Beaux-Arts de Bordeaux), lui évitant ainsi de devoir assumer la tâche ingrate de l’exécution. Tout en parodiant un statut de peintre, l’artiste-dandy évacue totalement l’idée du sujet et de son traitement. Faut-il y voir une nouvelle approche d’un conformisme tactique ? Il s’agit surtout d’un moyen de dénoncer avec humour la vanité de certaines pratiques avant de s’attaquer, sur le même mode, au mythe de la reconnaissance et de l’accès au succès. Dès lors, un cortège d’exploits dans des catégories absurdes catapulte l’artiste au rang de héros pour qui « un record n’est autre qu’un acte ordinaire exagéré » : le plus grand nombre de bobs sur la tête ou de blousons enfilés les uns sur les autres, le plus grand nombre de petits pois alignés, pour n’en citer que trois… Le succès est immédiat et Laurent Perbos enchaîne record sur record durant quelques années, puis les décline sur de nombreux supports afin d’asseoir leur diffusion. Débute alors un index de mises en scènes de soi, où la dérision sert de rempart à la pudeur (The walk of fame, 1996). On retrouve ce procédé bouffon dans une œuvre récente, Autoportrait, 2004, où l’artiste apparaît à son ordinaire, coiffé cependant d’un casque en cheveux, renvoyant le personnage à son environnement burlesque et, par là, en verrouillant l’introspection. La nudité que l’exercice de l’autoportrait appelle reste inaccessible, et là encore, la règle d’un jeu vole en éclats.

Art participatif
C’est encore en utilisant l’humour, mais cette fois teinté d’une pointe de cynisme, que Laurent Perbos détourne certains objets courants pour les inscrire dans une réflexion sur la sculpture contemporaine. Afin d’évoquer la place de l’art dans un « tout culturel », il décide de s’attarder sur un objet universel, immédiatement identifiable, exemplaire dans sa simplicité et dans sa popularité, tout à la fois élément de loisir et théâtre d’épreuves olympiques : la table de ping-pong. Détourné de plusieurs manières, l’objet conserve cependant ses codes les plus évidents et n’interdit jamais le jeu. Près d’une demi-douzaine de ces sculptures existe (Un autre état d’esprit, 1999, Console, 2002, Ping Pong Pipe, 2003, Sauvetage, 2002, M. J. C., 2003, J. O. , 2003)chacune renvoyant le joueur à sa distraction par le truchement du faux rebond et rend improbable toute pratique habituelle. Cette série d’œuvres exprime ainsi ce que pourrait être l’art aujourd’hui : d’abord familier voire banal, praticable et participatif, il permet finalement de repenser la manière d’appréhender notre environnement. En recherchant la place que l’artiste occupe aujourd’hui, Laurent Perbos découvre la valeur de l’idiotie telle que la décrivent le cinéaste Lars Von Trier ou le critique d’art Jean-Yves Jouannais2 : souvent décalée, parfois joyeuse, et finalement presque toujours pertinente.


NOTES
1 Catalogue de vente par correspondance d’œuvres contemporaines créé pour aider de jeunes artistes à diffuser leur travail. Réunissant principalement des objets qui sont ensuite exposés, Buy-Sellf accueille aussi dans ses pages l’édition d’art et la musique indépendante.

2 Auteur de L’idiotie, art, vie, politique-méthode, Beaux-Arts magazine / livres, Paris, 2003.
Le 18 janvier 1997, à Bordeaux, France, est réalisé le record du monde du plus grand nombre de bonnets mis sur la tête, soit 51 bonnets. Ce jour là, le record du plus grand nombre de blousons portés les uns sur les autres est aussi établi avec 37 blousons.



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