Laurent PERBOS 

D’un cours à l’autre.

Les œuvres présentées par Laurent Perbos à la Faculté des Lettres et Sciences humaines d’Aix-en-Provence transforment ce site immense en un lieu d’exposition ouvert à l’expérimentation. Ludiques et créatives, elles peuvent, dans un premier temps, surprendre ou amuser, tant leurs couleurs vives verte et bleue contrastent avec les tonalités plus nuancées et ensoleillées de la structure où elles sont accueillies. Cependant, les formes simples et géométriques du court de tennis et de la table de ping-pong ne sont pas sans rappeler celles de l’architecture en place et manifester le même désir d’aménager des espaces où il est possible de rencontrer l’autre comme de se dépasser soi-même. Discrètes ou imposantes, ces sculptures se situent à l’intersection des chemins les plus fréquemment empruntés par les étudiants : la cafétéria ou le parvis d’entrée, et exposent des préoccupations communes à la recherche universitaire et à la réflexion artistique. En effet, loin de s’intéresser à la discipline mais davantage à la pluridisciplinarité, l’artiste souligne les échanges intellectuels et humains encouragés par l’Université, en même temps qu’il les révèle dans son propre travail. L’assimilation des œuvres au lieu transforme ce carrefour de savoirs et d’informations en un terrain de jeu, voire en une cour de récréation, où chacun peut se confronter à l’autre, le temps d’une rencontre. L’utilisation de jeux simples et connus n’est pas une tentative faite par Laurent Perbos pour réinventer la table de ping-pong ou le terrain de tennis, mais pour y ouvrir des espaces insolites de communication. Car le langage plastique qu’il élabore témoigne de l’attention qu’il porte à ses contemporains : « Je m’intéresse au sport » dit-il, « parce que les gens s’intéressent au sport». Conscient de la multitude de réseaux et de liens sociaux que tissent la pratique ou la passion d’une activité sportive ou intellectuelle, il crée des œuvres qui peuvent être exposées partout et partagées par tous. Interactives, elles relèvent dans une certaine mesure d’une esthétique dite « relationnelle ». Elles cherchent autant à éveiller le corps que l’esprit des spectateurs en les invitant à restituer mentalement le sens des zones ludiques qu’ils traversent, de façon à en réveiller la richesse métaphorique.
Minimaliste et géométrique, l’œuvre intitulée Un autre état d’esprit (1998) est issue d’une série de plusieurs « tables de ping-pong », dont la déclinaison révèle la spécificité de chacune. Ici la couleur bleue représente un espace de jeu professionnel où l’artiste se réapproprie et détourne les codes et modes de (re)présentations traditionnelles et habituellement requis pour un pareil objet. D’une facture simple et usiné, elle semble inscrire le travail de Laurent Perbos dans la filiation des ready mades de Marcel Duchamp. Mais la table de jeu - contrairement à l’objet détourné - n’est pas ici le fait d’une transposition d’un produit industriel en œuvre d’art. Fabriquée manuellement elle se joue de cette idée de détournement, puisque étant une sculpture avant d’être un article destiné à la vente, elle en inverse le principe. Le titre Un autre état d’esprit donne un indice sur la réflexion menée par l’artiste lors de la création de cet espace de jeu, où les règles interrogent moins nos capacités à les dépasser que nos aptitudes à les repenser. Loin d’abonder dans le sens d’une société de consommation futile et gadgétisée, et conscient de la mutation des rapports humains qu’elle entraîne, il cherche à mobiliser notre attention sur l’infantilisation grandissante et l’insatisfaction permanente qu’engendre l’incessante poursuite de la nouveauté. La table ici exposée avec le souci d’éviter aux joueurs de chercher, ou de perdre, les raquettes voit ces dernières attachées à la table par un câble métallique, dont la longueur suffisante permet tout de même de se déplacer et de jouer. Efficace mais contraignant, ce dispositif sous-entend également la possibilité de se protéger d’un vol éventuel. Situé non loin de la structure principale, le distributeur de balles, payant, souligne non plus l’altruisme du concepteur, mais un état d’esprit qui oppose à la gratuité et à la générosité d’un échange sportif la logique financière et intéressée de la société de consommation. Le jeu nous met physiquement à l’épreuve des codes sécuritaires qui président aux relations de notre société actuelle.
Parachevant une série d’œuvres réunies autour de la thématique sportive, Aire (2004) est à l’image de la confrontation mais aussi de la rencontre entre l’univers de l’artiste et celui – également expérimental – de la Faculté. Environnementale, cette installation réalisée in situ s’étend comme un voile dont la surface malléable couvre et révèle simultanément la singularité du lieu. La reprise quasi à l’identique des dimensions réelles d’un court de tennis et de la couleur verte de la pelouse permet une appréhension immédiate de l’œuvre et une projection tout aussi instantanée dans une situation manifestement surréaliste. A travers elle, l’artiste opère un glissement des cours au court et suggère aux regardeurs de mener une expérience similaire sur le terrain qu’elle dessine, comme dans la vie de tous les jours. La présence de cette œuvre devant le hall principal ne dresse pas une nouvelle signalétique de l’entrée ou de la sortie d’un univers en particulier mais appelle le monde extérieur. Sa verte pelouse introduit une parenthèse poétique et colorée qui n’est pas sans nous entraîner dans une réflexion sur la relation de chacun à l’environnement. Semblable à une aire de repos, elle peut être appréhendée comme une respiration nécessaire au milieu d’une architecture bétonnée. Ainsi, invité à recréer selon ses propres aspirations les règles du jeu auquel il participe, le spectateur est également incité à prendre une part active dans sa propre existence.


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