Raphaëlle PAUPERT-BORNE 

LE PRIX DE LA VIE
(Alain Bourges, Caroline Duchatelet, Catherine Ikam, Raphaëlle Paupert-Borne, Bill Viola)
par Jean-Paul Fargier

Quoi de neuf, cet automne, en vidéo ? La Mort ! Encore et toujours. Sans Elle, la Vie n’aurait pas autant d’intérêt. Le Néant nous semblerait moins proche. La Mémoire plus stable. L’Amour ne nous ferait pas fous. La corrida serait du cirque. Banalités ! Oui mais de base. A vérifier sans cesse dans leurs effets de fond. Où ? Partout. Dans les livres comme sur nos écrans. Les vidéos les plus fortes que j’ai rencontrées ces derniers mois portaient toutes la marque de cette Limite absolue. Et toutes, c’est ce qui les rendaient attachantes, elles s’évertuaient à briser cet horizon noir, en le métamorphosant : en Nostalgie, en Mythes, en Retours.

Paupert-Borne et Duchatelet : la Nuit et le Jour.

De passage à Rome, fin octobre, invité par Valentina Valentini, pour une soirée à la Villa Médicis autour de mes réalisation télé (M la maudite), cinéma (Jour après Jour) ou vidéo (Play it again, Nam ; Sollers au Paradis), j’ai eu le plaisir de découvrir quelques artistes qui y sont actuellement pensionnaires. En voici deux, superbes.
Raphaëlle Paupert-Borne, venue de Marseille, est peintre et vidéaste. Ses peintures campent des personnages, hommes, femmes, souvent nus, s’exhibant, se caressant, cernés d’un gros trait noir, dont les corps se décharnent en absorbant le fond (papier peint, papier journal) sur lequel ils sont figurés. C’est très vigoureux, dramatique, instable, dérangeant. Elle signe aussi des films où elle joue, comme Apnée (2003, 21’). Elle s’y donne en spectacle toujours sous le même aspect, vêtue d’un manteau rouge, comme elle apparaît aussi dans ses performances sous le nom de Fafarelle. On la voit courir après des moutons dans un alpage, marcher dans la neige lointainement (un peu comme au début de Chott-el-Djerid), faire du ski slalom, saut périlleux, chute comique. La caméra bouge comme tenue par un témoin ému. Raphaëlle est une sorte de Keaton plus impassible que l’original. Elle fabrique ainsi, comme l’a très justement formulé Patrick Leboutte, « un pur geste de cinéma » dans « un cinéma archaïque, un cinéma démuni ». Démuni et impassible, son geste actuel vise encore plus à l’être : Raphaëlle Paupert-Borne travaille au montage d’un film mémorial sur la petite fille qu’elle a perdue, Marguerite, à huit ans. Avec son mari, le sculpteur Jean Laube, elle repasse les films de famille qu’ils ont tournés sur leur enfant chérie à la recherche d’une vie insaisissable, évanouie, se confondant peu à peu avec les images qu’elle a laissées, et ces poignées d’instants hors du temps deviennent, rapprochés (montés, articulés) éblouissants d’une lumière seule capable de faire reculer la nuit. Toute nuit. On est désemparé, admiratif, gagné par la tendresse de ce deuil métamorphosé en travail à portée universelle. On comprend mieux alors le trait noir qui ombre ses silhouettes peintes. Ces êtres transparents sortant des murs, des miroirs, des magazines, envahissant tous les décors, sont les acteurs d’une nostalgie totale, inévitable, sans détour, sinon par une métamorphose. Retour du retournement qui les pose moins comme des fantômes (des revenants) que des résistants (à l’effacement).

Jean-Paul Fargier

In Turbulencesvidéo n°62, janvier 2009
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