Hervé PARAPONARIS 

A propos de la collection « Tout ce que je vous ai volé »


En janvier 1996, invité par le MAC/Galeries contemporaines des Musées de Marseille, Hervé Paraponaris expose dans le hall entrée du musée 42 objets d'origines diverses, mais tous volés. Il y a aussi bien des restes et des reliques (sept cheveux blonds ayant appartenu à l'artiste Paul Thek), de la nourriture (250 grammes de soupe de poissons, 50 grammes de basilic), que des larcins symboliques (des formulaires administratifs, des exemplaires du journal nationaliste corse U Rubombu, 100 grammes de confetti) et un peu de valeur (un oeuf en marbre provenant de chez Luciano Fabro, du matériel audio et vidéo). Le tout est disposé sur quatre tables dont les couleurs proposent une typologie des biens par leur provenance. Les objets dérobés à des institutions sont dans le bleu, ceux venant d'entreprises dans le vert, ceux autrefois en possession de personnes sur le jaune et ceux pris dans des associations posées sur l'orange. À la place des obligés « courtesy of » et autre « acquis grâce à… », les cartels indiquent la provenance des oeuvres et leur année d'entrée dans cette collection clandestine. Un découpage économique et social qui passent par la description des personnes morales à qui les biens ont appartenu.

« L'organisation de l'art autour de la signature de l'artiste, gage du contenu et de l'authenticité de son discours, ne prend son plein essor qu'à la fin du XVIIIe siècle au moment où se déploie le système capitaliste manufacturier : l'artiste lui-même va devenir la valeur monnayable centrale du système de l'art, adapter ses principes de travail sur le monde des échanges et son rôle, se rapprocher du négociant dont le travail consiste à déplacer un produit d'un lieu de fabrication vers un lieu de vente, note Nicolas Bourriaud (in catalogue Playlist, éditions Cercle d'art, 2004). Que fait Duchamp avec ses readymades ? Il déplace le porte-bouteilles d'un point à l'autre de la carte de l'économie ? depuis la sphère de la production industrielle jusqu'à celle de cette consommation spécialisée, l'art.»

Chez Paraponaris, ce déplacement s'opère plus rapidement, la transaction étant une « reprise directe » selon la terminologie anarchiste. Variation kleptomane sur un thème Duchampien, Tout ce que je vous ai volé d'Hervé Paraponaris place donc Proudhon avant Marx (« la propriété c'est le vol ») et préfère Fantômas à Marcel. En optant pour un marché parallèle, il ruine définitivement le culte de la belle-main. La virtuosité de l'artiste devient une capacité au vol et réclame le prolongement d'un territoire libre dans le domaine de l'art. Comme pour vérifier que toute zone d'autonomie est temporaire, quelques jours après l'inauguration, l'exposition est obligée de fermer ces portes. À la suite d'une plainte, la police saisit les biens et place en garde-à-vue l'artiste et Philippe Vergne, alors directeur du musée. En passant de l'état d'exception (un recel transformé en oeuvre) à celui de fait-divers, « Tout ce que je vous ai volé » a paradoxalement mené son auteur à une notoriété bien plus importante que celle habituellement réservé aux artistes : articles de presse « généraliste », reportage télé et même polémique intellectuelle réflexion de Baudrillard sur le sujet (Au sujet du « complot de l'art », éditions Sens & Tonka). Que l'on se place dans le vocabulaire de la légende urbaine ou dans le ton des Vies et histoires de Vasari, Paraponaris est devenu « celui qui a fait une exposition avec des objets volés.»
« Je vois l'histoire de l'art […] comme une histoire policière, un mystère à résoudre sans trop le dissiper », explique Jean-Claude Lebensztejn dans l'introduction d'un essai consacré à Malcom Morley. Ici, la police a enquêté un peu trop facilement, Hervé Paraponaris a plaidé coupable et il a été reconnu comme tel. L'artiste et le musée avait déjà livré pas mal de pistes, et elles lui ont toutes été confisquées. Further Replica, la pièce acquise par le Fond régional d'art contemporain de Marseille, est une réplique évolutive, destinée à s'accroître à chacune de ses expositions, d'un bien égal à ceux qui ont été inventoriés lors de l'exposition initiale. Une proposition visant à régénérer dans le temps, une oeuvre originellement entropique.

Intervention judiciaire ou non, l'ensemble avait vocation à être dissout en étant rétrocédé à ces propriétaires initiaux ou volés par des tiers, elle contenait en elle son caractère éphémère. « Replica est un des prolongements de la collection « Tout ce que je vous ai volé, postule l'artiste dans une note d'intention. Les événements qui ont conditionné cette collection, de sa création à sa présentation et au-delà à sa saisie, restent étroitement intégrés au caractère sémantique de l'oeuvre, qui pose, au travers elle, les questions du statut de l'objet, de la localisation de l'oeuvre, de la perception de l'espace d'exposition comme milieu. […] L'ambition est maintenant de poursuivre la collection dans les limites qui sont maintenant posées par la justice. Les limites posées par l'absence matérielle ».

En poursuivant son oeuvre par les moyens de la police (la reconstitution), l'artiste achève donc simultanément un programme de type muséographique et documentaire visant à la conservation de son oeuvre tout en intégrant dans celle-ci les limites de l'intérêt général.

Olivier Michelon
dans Collections 1999-2004 FRAC PACA 2005


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