Yannick PAPAILHAU 

Rack 2013
Inox, bois de coffrage, mélamine, plexiglas, contre plaqué, peinture martelée, peinture ardoise, 5 x 3 x 3 m
Invité : Stéphane Castet (rack avec les clé et le texte)
Les ateliers de production, FRAC PACA
Photographies Damien Manuel
Vues de l'exposiiton La fabrique des possibles, Frac PACA, Marseille, 2013



Science de fiction
Le travail de Yannick Papailhau peut prêter à confusion. Là où l'on pourrait voir des préoccupations scientifiques et de l'utopie, se trouve en réalité de l'imaginaire et de la dérision. Et le joyeux bordel de ses dessins, sculptures et installations est plus sombre et inquiet qu'il n'y paraît. Dans une courte série de dessins récents (2011), des portraits sont associés à des squelettes, crânes, parties d'anatomie. Sans être univoque, une inhabituelle tonalité morbide apparaît ici, que l’on ne trouvait pas auparavant chez Yannick Papailhau. Mais à bien y réfléchir, la notion de vanité, de vacuité ou du moins de fragilité des choses était déjà présente dans bon nombre de ses pièces. Les « projets improbables de lancement » censés permettre l'envoi de modules dans « un espace à déterminer, déterminé ou indéterminé » et finissant généralement par se casser la gueule. Les plans d'architectures complexes destinés à rester à l'état de projets irréalisables. Les machines fragiles et dérisoires comme la pièce L-DOPA : une boite en bois contenant une petite hélice, visible à travers une vitre en Plexiglas, reliée à une mini poulie la faisant tourner sur elle-même, en un lent mouvement mal assuré et branlant. Devant les œuvres de Yannick Papailhau, on a le sentiment d'une recherche à vide, où les projets ne mènent nulle part, où les machines sont sans fonction claire et les objets, sans objet. Bien que ses réalisations soient dépourvues d'utilité apparente, Yannick Papailhau, tel MacGyver, fait flèche de tout bois. De même, tout semble être un sujet pour lui. Les œuvres paraissent procéder par rajouts successifs et par digressions. Ce qui génère des histoires dans les histoires, certaines arrivant comme des cheveux sur la soupe. Je me rappelle avoir lue, lors d'une exposition à Marseille, en 2007, au beau milieu d'un dessin, cette note : « Téléphoner à Robert », suivie d'un numéro. L'œuvre représentait essentiellement, sous la forme du dessin technique, une architecture assez compliquée et nébuleuse. La note hors sujet, normalement cachée, reléguée à la marge, était là, sans complexe, ni discrète ni ostentatoire, placée dans l'œuvre. Comme on écrit sur un bout de papier déjà utilisé, à défaut de feuille vierge. Le détail qui tue mais qui devient, à son tour, aussi insignifiant et incongru soit-il, le départ potentiel d'une nouvelle fiction.
La forme de la pièce réalisée pour La Fabrique des possibles évoque la face immergée de l'iceberg où elle sera exposée : les réserves du FRAC et le mode de conditionnement des œuvres qui y sont conservées. Il s'agit d'une structure de trois mètres de haut sur cinq mètres de long et trois mètres de large, contenant sept racks placés sur des rails. Les racks constituent autant de tiroirs de rangement permettant de consulter un certain nombre de documents et d'œuvres. En faisant remonter à la surface des éléments qui brillent d'ordinaire par leur absence, Yannick Papailhau révèle un aspect du contexte dans lequel son œuvre est née. Il se réfère également à l'archivage de données informatiques tel qu'on l'imagine dans les volumineux ordinateurs de premières générations. Ici le cadre choisi, répondant au principe de l'exposition La Fabrique des possibles (marier une pratique artistique à une pratique scientifique) est l'astronomie. Et plus précisément, l'Observatoire de Haute-Provence. Dans le journal de bord qu'il a tenu là-bas, l'artiste se place, non sans humour, en observateur de l'observation. S'observant lui-même, observant les observateurs de l'observatoire. Et ses études astronomiques prennent la forme d'observations microscopiques. Dans Rack, la pièce produite après ce séjour plus ou moins fructueux, chacun des sept racks étant composé de deux panneaux et chaque panneau présentant deux faces, on compte vingt-huit « tableaux ». Si leur prétexte commun est une approche subjective de l'astronomie, les sujets qui y sont traités et les formes produites sont très hétéroclites. Etudes, dessinées à la craie, sur un tableau noir, des figures du Glaude (Louis de Funès), du Bombé (Jean Carmet) et de La Denrée (Jacques Villeret), dans La soupe aux choux, et de Gaston de Pawlowski, auteur du Voyage au pays de la quatrième dimension. Représentation tout en transparence des constellations de Bérénice et de Cassiopée. Journal de bord de l'artiste durant son séjour à l'Observatoire de Haute-Provence. Vidéo réalisée à l'intérieur d'une des coupoles de l'Observatoire. Divers échantillons (couverture de survie côté argenté et côté doré, peinture martelée grise et jade, Formica bleu et jaune) recouvrant intégralement les faces des panneaux où ils se trouvent et évoquant les matériaux utilisés dans la construction des fusées et satellites, ainsi que des machines et du mobilier datant des années cinquante. Ensemble de fiches et notes préparatoires où se côtoient des croquis de l'œuvre en projet pour La Fabrique des possibles, des écrits de mathématique et une rencontre imaginaire entre l'équipe de France de foot et une improbable équipe de Star Wars créée pour l'occasion (les deux équipes ayant été représentées par l'artiste sous forme de vignettes, le lendemain d'une victoire de la France sur l'Espagne). Vide représenté littéralement par l'absence d'un panneau sur l'un des sept racks. Œuvres (texte découpé dans une plaque de métal et sorte de rideau métallique constitué de clés soudées les unes aux autres) de l'artiste Stéphane Castet, invité par Yannick Papailhau à intervenir sur deux panneaux. Grands tirages photographiques de vues d'une coupole de l'OHP et des pas d'un humain et d'un animal dans la neige (« Un grand pas pour l'homme et un petit pas pour l'animal » Y.P.). Recherches d'images Google à partir de mots évoqués par les trois termes « Observatoire », « Haute » et « Provence ». Création d'une fiction journalistique à propos de Yannick Papailhau, Christian Boltanski, François Morellet et de voyage astral. Combinaison spatiale et matériel d'astronaute figurés par divers outils et une combinaison d'atelier. A l'instar de Xavier de Maistre dans Voyage autour de ma chambre, les voyages intersidéraux de Yannick Papailhau se font surtout autour de son atelier. Dans Rack, par un effet d'accumulation d'informations, parfaitement formalisé sous l'apparence d'un système d'archivage d'œuvres muséales ou de données informatiques, la pensée est saturée et les idées se télescopent. Le savoir ressemble à la fois à une impasse et à une série de stimulations propices aux délires.
Les œuvres de Yannick Papailhau semblent suivre le rythme d'une pensée en mouvement, ne s'interdisant aucun repentir, déguisement, bluff. Chaque production est le fruit d'une agglomération d'informations venant s'enrichir ou s'atténuer, voire se contredire les unes les autres. Elles sont autant de bifurcations, de remises en question qui nous perdent, brouillent les pistes. Dans plusieurs séries de dessins, les couleurs joyeuses dont ils sont bariolés allègent le pathos des corps présentés comme des mécanismes contrariés. Ailleurs, la simple présence de personnages caricaturaux et grotesques tourne gentiment en dérision l'esthétique et l'apparent sérieux du dessin technique et des plans d'architectures complexes. L'architecture, l'anatomie, l'astronomie, la science, de manière générale, sont des sujets qui n'intéressent pas spécialement Yannick Papailhau. Ils apparaissent pourtant comme les thèmes récurrents de ses œuvres mais sont autant de fausses pistes pour le spectateur qui les considèrerait ici comme une fin. Ce sont en réalité des prétextes pour relater une pensée en quête de sens et n'obtenant pas franchement gain de cause. Une pensée en proie au doute et à la perplexité. Les dessins et volumes de Yannick Papailhau évoquent des résultats incompréhensibles d'opérations et de recherches inconnues. Des inventions dont on ne connaitrait pas les applications. Ce sont des plans et des machines dont l'usage nous échappe. S'en dégage une poésie du bricolage, du bidouillage empirique et nébuleux, de l'instabilité, du bancal.


Alexandre Gérard
11 décembre 2012

Mouvement qui renvoie, par antinomie, à la molécule nommée « L-DOPA », substance notamment utilisée comme médicament dans le traitement de la maladie de Parkinson « en augmentant, au prix d'une dépression due à la baisse du taux de sérotonine, le taux de dopamine. » (source Wikipédia).


Rack 2013
Détails

 

Rack 2013
Diaporama de dessins préparatoires


Voir le formulaire de demande de temps de téléscope
(PDF)
Voir le journal de bord)
(PDF)
Écouter l'entretien avec Michel Marcellin

 

Retour