Stéphanie NAVA 

Vues de l'exposition La luxuriance sauvage de leurs ramifications, Galerie White Project, Paris, 2014 :
La jungle 2013-14
Fusain, dimensions variables
Détail
Ce dessin mural occupe l’espace dans lequel il est installé selon un protocole simple qui est de chaque fois recouvrir un mur dans son entièreté: du sol au plafond, d’un angle à l’autre. Réalisé directement au fusain sur la paroi sans suivre ni projection ni dessin préparatoire, il se transforme et “pousse” différemment à chaque nouvelle présentation. S’il change, sa densité demeure identique, le mur étant complètement empli de la végétation luxuriante, tropicale, qui occulte tout point de fuite, clairière ou respiration. Le noir du trait sur le blanc du mur produit par son accumulation et, par effet de saturation, un gris qui aplatit l’espace et fait émerger, en la singularisant, la géométrie de la paroi ainsi occupée.
Jouant de l’idée de décor, la jungle habite le mur tout comme elle l’habille et le désigne, produisant un espace dans lequel le regard peut se perdre, mais qui reste néanmoins fondamentalement borné par les limites de l’architecture.
Au chaos de la jungle répond un ensemble d’objets, entre maquettes d’architecture, mobilier et sculptures, qui convoquent la rigueur géométrique de l’architecture moderne.
Le havre 2014
Email sur verre, encre sur bois enduit, laiton, 80 x 41 x 25 cm
Dessiner un plan de ville c’est déterminer la nature un espace à vivre en commun. Du Havre de Vauban il ne subsite que peu. (le havre) propose de regarder, dans un jeu de superpositions, la transformation du centre de cette ville presque entièrement détruit durant la seconde guerre mondiale et dont Auguste Perret a redessiné le plan à la reconstruction. La redoute fortifiée avait déjà laissé place à une ville au réseau de rues dense et sinueux, Perret partira de la tabula rasa produite par les bombardements pour proposer un plan en grille orthogonale. La cadence régulière des îlots fabrique l’unité retrouvée d’un centre ville entré violement et par la destruction dans la modernité.
 
Dessin radieux 2013
Encre sur verre, laiton, 74 x 50 x 16 cm
Détail
Réalisée pour la première présentation de La luxuriance sauvage de leurs ramifications au Musée d’Art Moderne de Saint Etienne, cette structure de laiton porte sur trois de ses plaques de verre les plans des duplex imbriqués de la Cité Radieuse dont Le Corbusier a construit une version à Firminy, à proximité de Saint Etienne. En contraste avec le fouillis de la forêt qui se reflète sur le verre, la rationalisation de la “machine à habiter” organise l’espace à vivre dans une efficacité ergonomique. Cette rigueur s’applique aussi au végétal dans les « étages » inférieur, où le vivant se trouve alors contraint dans les limites du strict dessin d’un jardin formel baroque.
Le rideau 2014
Acier, PVC, 81 x 60 x 31 cm
Walter Gropius a, dans le bâtiment du Bauhaus à Dessau, mis en œuvre le principe de façade-rideau (une façade non porteuse, déconnectée de la structure du bâtiment) lui permettant d’installer une transparence que ne permet pas une façade traditionnelle. Libérée de sa fonction structurante, la façade peut s’alléger et son dessin se libèrer en partie de l’intérieur du bâtiment.
Reprenant la séquence des larges surfaces vitrées des ateliers du Bauhaus, la bâche en PVC ajouré de ce rideau vient se poser comme une nappe sur le module en acier. Son dessin rigide est potentiellement dévoyé par la souplesse du matériau, la rigueur de sa géométrie pouvant se déformer au gré des mouvements de la bâche. Par opposition, la stabilité de l’acier assure à l’ensemble la permanence de sa forme et son évélation.
Les grottes 2013
Bâche en PVC découpé 196 x 290 cm
À proximité de Gortyne, en Crète, un ensemble de carrières exploitées depuis l’antiquité a été souvent considéré comme étant le Labyrinthe dans lequel Minos aurait enfermé le Minotaure (notamment par Sebastian Münster dans son ouvrage Cosmographia Universalis au XVI° siècle). Si le secret du mythe reste difficilement perçable, le dessin des grottes a, quant à lui, fait l’objet de plusieurs tentatives, plus ou moins achevées. À l’opposé d’un objet ou un territoire dont on pourrait embrasser les contours depuis un point de vue spécifique, on ne peut déterminer la forme et le plan d’une grotte qu’en la parcourant. Son dessin est donc le résultat d’un déplacement, celui d’un explorateur s’enfonçant dans le boyau qui perce la roche. Ce dessin sera donc ici « en réserve », découpé par silhouette dans la matière opaque et noire, les ciseaux avançant pour révéler les contours de ce lieu souterrain.
Artificielles, ces grottes rappellent le rapport construit des hommes aux cavernes, naturelles ou pas. Des troglodytes aux peintres rupestres, ils ont occupé ces espaces. En se les appropriant par l’usage ou le dessin d’animaux et de signes sur les parois, il les ont désignés comme architectures. Et il n’est pas anodin, alors, de pointer que ce désir de placer dans ce réseau crétois le lieu du Minotaure convoque alors une architecture mythique dont Thésée ne sortira que grâce à la ligne donnée par Ariane : ce fil qui dessine à son tour la ligne d’un trajet : celui, inverse, du retour à l’air libre.
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