Olivier MILLAGOU 

Vues de l’exposition Free and Easy, Galerie Sultana, Paris, 2025
Courtesy Galerie Sultana
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Fidèle à ses habitudes, Olivier Millagou a de nouveau emprunté aux films de surf un titre et un visuel pour sa nouvelle exposition à la galerie Sultana. Free and Easy raisonne comme un mantra de l’artiste à lui-même, un programme personnel à suivre pour mener à bien la production de nouvelles œuvres et leurs présentations au sein de l’espace d’exposition. S’il ne fait aucun doute que la pratique du surf est associée à une certaine idée de la liberté, elle repose également sur sa capacité à offrir la sensation que tout est facile. Cela me fait penser à Brian Wilson, décédé le 11 juin dernier, auteur-compositeur, chanteur et fondateur du groupe The Beach Boys, qui passa sa vie à créer des chansons dont l’apparente légèreté lui permettait notamment de dissimuler une violente et persistante dépression. Mais c’est ainsi, les années 60 et 70 incarnent, dans le monde occidental, des années idéales, pops, légères et puissantes à la fois. Cette époque se caractérise par sa capacité à créer l’illusion que tout va bien, que tout glisse, que la vague ne s’arrêtera jamais, que le pétrole coulera toujours à flot et que les corps, tous les corps, seront toujours libres.

Olivier Millagou a réceptionné ces fantasmes, lui qui grandit dans les années 80. Mais déjà, au début de sa vie d’adulte, les rêves se ternissent légèrement, la glisse semble plus ardue et les morceaux de plastiques commencent à s’accumuler en mer, de la Californie à Bandol, où l’artiste est revenu vivre et travailler depuis 2000. Mentionner l’endroit où vit et travaille Olivier Millagou est une donnée très importante tant elle impacte son œuvre. Car c’est précisément en contact avec l’extérieur, la mer et la nature que l’artiste a développé une pratique artistique ultra exigeante, ayant décidé d’appliquer une méthodologie de travail écologique et engagée, à contre-courant du grand déballement matériel et technologique de l’art contemporain depuis les années 2000. Et si ses travaux sont en prise avec des problématiques actuelles aussi urgentes, c’est aussi certainement parce que Olivier Millagou est au contact, toutes les semaines, avec les générations directement victimes des politiques écocides des 150 dernières années, étant professeur aux Beaux-Arts depuis 13 ans.

Ainsi rempli et pétris de tous ces enjeux et interrogations, l’artiste cherche à réaliser des œuvres puissantes et ambitieuses, tout en utilisant un minimum de ressources, et en travaillant uniquement avec des matériaux glanés dans un petit périmètre autour de chez lui. Depuis trois ans à présent, il a ainsi développé une technique de peinture innovante. À l’aide de matériaux périmés tels que, des cartouches de silicone et de colles PU qu’il récupère auprès d’artisans et fournisseurs, il réalise des sortes de monotype permettant « l’impression » de ses peintures. Il en ressort des images brillantes, à la palette un peu fatiguée et dont la touche évoque l’aquarelle ou l’émail. Avec ce savoir-faire inédit et original, Olivier Millagou s’est adonné ces dernières années, à la réalisation de tableaux de fleurs et de fragments de corps, qui ne sont pas sans évoquer les Nabis ou le groupe de Bloomsbury. Mais pour cette exposition c’est du côté d’un certain néo-classicisme teinté d’influence Renaissance que l’artiste s’est tourné, réalisant un ensemble de portraits aux formats et cadrages variés. La tendresse et la fragilité qui émanent des personnages représentés nous ferait presque oublier le temps et le travail orchestré par Olivier Millagou pour arriver à donner naissance à de telles icônes. Et c’est de la même illusion de légèreté dont il s’empare pour réaliser sa dernière série de sculptures regroupées sous le titre Réemploi. Ces œuvres en aluminium poli d’une face, et laissée brut de l’autre, sont les contreformes des moules en mousse PE polyéthylène trouvées sur un chantier et à partir desquels il a réalisé une commande de sculptures d’oiseaux pour un bâtiment public. Ce que l’on en voit en réalité tenir devant nous, ce sont les morceaux de vides et les pleins des formes ayant servis à la réalisation d’autres œuvres. L’artiste a ensuite décidé d’assembler ces fragments et d’en réaliser des fontes uniques afin de donner naissance à des sculptures bancales aux lointains échos modernistes. Ces sculptures ainsi réunies et présentées sur des socles, eux-mêmes réutilisés, se tiennent devant nous, fières et spécieuses à la fois. Elles viennent nous caresser, nous conforter dans notre recherche d’unité. Elles se jouent du goût, du bon goût, de nos envies d’art pour animer nos quotidiens, nos imaginaires. Elles sont le réceptacle de toute une histoire de la sculpture d’intérieur, de l’objet individuel que l’on rapporte chez soi pour briser la monotonie de nos mondes matériels. Elles sont en définitive, les alertes sublimes d’un présent de plus en plus fragile.

Une fois de plus, Olivier Millagou nous dévoile avec quelle dextérité il s’empare de la vague, glisse sur l’art et son Histoire, saute au-dessus des enjeux techniques. Tout semble free and easy alors même, que nous l’aurons compris, les œuvres que nous observons aujourd’hui sont le fruit d’un travail immense pour tenter de prendre soin du monde.

Margaux Bonopera

 

 
 
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