Catherine MELIN 

La question initiale dans le travail de Catherine Melin est celle du point d’appui. Etant donnés l’étendue et tout ce qui la ponctue, d’où partir, par où commencer, par où passer ? L’espace tout autour de nous nous contient et contient toutes choses : celles qui sont fixes et celles qui se meuvent, celles qui étaient là et celles qui ont été ajoutées par les hommes, lesquelles sont devenues aujourd’hui incroyablement nombreuses et proliférantes. Cette propension à en rajouter sans fin et à remplir les intervalles laissés vacants, nous pouvons y voir la forme moderne de ce que Wilhelm Worringer dans Abstraction et Einfühlung, un livre bien inutilement oublié aujourd’hui, caractérisa pour les temps primitifs en parlant de geistiger Raumscheu, ce que l’on peut traduire par « angoisse spirituelle devant l’espace » ou, plus simplement, « crainte de l’esprit devant l’espace ». Crainte qui est comme la version panique, elle-même affolante, d’une occupation pourtant nécessaire : pour que l’espace s’incarne et échappe au vide qui est sa tentation, il lui faut des objets et des formes, toute une écriture de lignes et de surfaces qui le traduisent dans une langue que le corps peut apprendre et comprendre. Habiter, vivre, c’est traverser avec son corps les espaces toujours différents de cette langue parlée par l’espace. Pour cette traversée il faut des intervalles, des points d’appui et des prises : et le monde entier, à commencer par l’univers urbain, consiste en un immense dispositif discontinu au sein duquel intervalles, prises et points d’appui, isolément ou en série, forment une syntaxe que chaque locuteur ou passant interprète à sa manière. En droit tout au moins, puisque dans les faits il arrive fréquemment que cette syntaxe, engorgée et répétitive, ne libère que des phrasés sériels programmés, qui répondent à la pression constante de la domination. Mais il est des points de monde qui sont des échappées ou des tremplins, des nœuds en train de se dénouer, où cette syntaxe se voit et redevient palpable, et dans un phrasé justement, mais qui aurait alors sauté hors du cadre. Les tubulures colorées d’une échelle, d’une passerelle, d’une balançoire ou d’un toboggan sont, et cela c’est Catherine Melin qui nous l’indique, de tels phrasés.

Extrait du texte de J-C Bailly


Vues de l'exposition Assise et allège, Espace pour l'art, Arles, 2016

















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