Pierre MALPHETTES 

La météorite 2010
Fonte d’aluminium, sangles, dimensions variables, fonte : 120 x 100 x 165 cm
Vues de l'exposition L’horizon des particules, Vidéochroniques, Marseille, 2019
 
Grains de sable spiralés 2019
Sable, sac à gravats, sangle, dimensions variables
 
Volcans, fleuves et deltas 2019
Poussières de marbre, eau, pompe à eau, acier, bois, géotextile, bassine, dimensions variables, plateau : 300 x 150 x 65 cm
Vues de l'exposition L’horizon des particules, Vidéochroniques, Marseille, 2019
 
© Videochroniques
 
L’écoulement du sable 2019
Sables, verre, bois, bouchons en liège, 350 x 100 x 90 cm
 
© Videochroniques
 
Une ligne de crête 2012
Néon blanc, Inox, câbles éléctriques, transformateur électrique, 450 x 150 x 250 cm
 
La fumée blanche 2010
Néon blanc, câble acier, transformateur électrique 85 x 58 x 300 cm
Vues de l'exposition L’horizon des particules, Vidéochroniques, Marseille, 2019
Photographies © Videochroniques
 
 
Petite visite subjective d’une exposition de Pierre Malphettes
Bien sûr, Pierre Malphettes s’intéresse au monde, à la marche du monde, à l’état de la planète, de son pays, de sa ville, de son quartier. Bien sûr nous nous intéressons tous aux gens, aux siens, à soi, voire parfois à l’entre-soi. On sait qu’on fait l’histoire, au jour le jour, la petite et la grande. Les scientifiques font l’histoire des sciences, les sportifs celle des sports, les artistes l’histoire de l’art, mais ces histoires se mélangent entre elles, heureusement. Et il est bien normal que l’histoire de l’art veuille jouer son rôle dans l’actualité, dans la société, les comportements des individus, des groupes et des politiques… Beaucoup d’artistes (et de “curators”) s’y emploient aujourd’hui de façon directe. Mais d’autres approches sont possibles. Malevitch et les suprématistes, n’ont-ils pas accompagné la révolution d’Octobre plus pertinemment que le réalisme socialiste ?… Et l’Op Art (dont Pierre Malphettes aujourd’hui s’approprie et perturbe parfois les codes) n’accompagnait-il pas aussi, avec le situationnisme ou le lettrisme, les mouvements sociétaux des années 1960 ?
Bien sûr, Pierre Malphettes s’intéresse à l’art d’aujourd’hui, d’hier, de demain, cette grande histoire des arts, trop peu enseignée, trop peu connue, et qui aide pourtant à comprendre l’essentiel de l’esprit humain. À l’échelle de la mémoire de l’humanité, l’oeuvre d’art est la dernière trace à s’effacer : que saurait-on de l’âge des cavernes, de l’Égypte ou de la Grèce antiques voire du Moyen Âge sans le geste des artistes ? Qui connaitrait Cro-Magnon sans l’empreinte de sa main, ou les politiciens antiques si Phidias ou Praxitèle n’en avaient pas “tiré” le portrait en marbre ? Et le monde avait bien oublié ce petit Toutankamon de Pharaon avant qu’Howard Carter n’en exhume du sable le somptueux tombeau d’art et d’or… Extrait du sable. De la poussière. De la poussière du désert que surplombe la poussière d’étoiles, les météores, les météorites, les galaxies, les trous noirs. Cette dimension-là se retrouve dans l’exposition de Pierre Malphettes à Vidéochroniques. L’infiniment petit, l’infiniment grand, cette échelle-là est celle de son travail actuel, si l’on sait y voir.
Pour donner à voir, Pierre Malphettes se livre ici à des expérimentations, dans la galerie même, met au point des process venus d’intuitions pas toujours évidentes : qui aurait cru qu’un sac de sable percé d’un trou et lancé à telle vitesse dessinerait au sol une galaxie spiralée ? Changez le diamètre du trou et la vitesse du lancer et vous récoltez plutôt le chaos. Cette pièce immobile exprime pourtant le mouvement qui l’a créée, que l’esprit reconstitue et comprend. Un expérimentateur scientifique aurait-il procédé autrement ?
Dans Volcans, fleuves et deltas différentes poussières de marbre, matériau ô combien lié à l’histoire de l’art, reforment quand elles s’écoulent, mêlées d’eau, des reliefs colorés évoquant les cratères dont elles sont issues (soulèvement de la chaîne hercynienne, dépôts calcaires privés de l’eau des profondeurs), des ruisseaux et des sources, des érosions et des concrétions comme des paysages miniatures animés… Est-ce une expérimentation géologique ?
Ailleurs, des percements effectués dans le verre retenant des stratifications de sables colorés où Pierre Malphettes avait réussi à faire cohabiter matière naturelle granuleuse et patterns “hard edge” créent des effondrements souterrains, des cônes d’éboulements, la skyline d’une chaîne de montagne lambda dont apparaissent les dessous en couches alternées. Une coupe dans la matière qui rappelle, certes, dans son principe, les artefacts en bouteille des artisanats, mais évoque surtout les coupes géographiques et géologiques de la terre, illustrant ce que l’on sait du monde en train de se faire, quand les carrotages du sous-sol nous en révèlent la matérialité, mais aussi l’histoire dans les matières qu’ils remontent, venues du fond des temps et encore parfois porteuses de vie.
Profondeurs et sommets, failles qui les relient et les séparent, tectonique, la silhouette de ces montagnes évoque celle qu’une pièce de Pierre Malphettes avait déjà produite il y a quelques années : un néon blanc au trait anguleux, indécis mais précis, sur des portants métalliques et dans un désordre des fils électriques, intitulé La ligne de crête… Cette dernière surplombe et illumine la belle salle grise et semi-enterrée du lieu d’exposition, où l’on croit respirer, paradoxalement, le parfum de la terre profonde.
Tandis que plus loin un faisceau de tubes au néon élève du sol vers le ciel un panache de fumées blanches. Toujours cet aller et retour entre ce qui échappe à la pesanteur et ce qui s’y abîme, ce qui s’élève et ce qui tombe, selon les périodes et les humeurs : d’aucuns pourraient y trouver les indices d’un questionnement mystique. Mais le regard premier de l’homme sur le ciel, de l’enfant sur les étoiles filantes suffisent à justifier ces évocations du monde.
Car juste à côté c’est une “étoile filante”, une météorite de fonte massive, venue évidemment du fin fond de l’univers qui atterrit dans la galerie. Des sangles solidement accrochées ont réussi à stopper sa chute, qui aurait immanquablement creusé sous nos pieds un cratère immense, transformant le Panier en trou béant … La plus grande météorite du monde, à Hoba, est aussi le plus gros morceau de fer existant : 60 tonnes, record Guiness tombé du ciel, celle de Cape York que l’on peut toucher au Musée d’Histoire Naturelle de New York, n’en pèse que la moitié, mais quelle émotion sous la main que de tâter la fraîcheur imaginaire de l’espace intersidéral… Celle de l’exposition est en fonte d’aluminium, plus petite et moins lourde mais suffisamment pour exiger de la galerie qui l’expose une carrure particulière, une résistance que l’on perçoit dans la tension maximum des sangles qui la soutiennent, d’une immobilité absolue et le cerveau perçoit “en creux”, pour ainsi dire, l’énorme force de la gravité contrariée. Car on se trouve là, dans cet entre-deux, dans cet équilibre instable, celui qui est sensé ne durer qu’une fraction de seconde et qui ici s’éternise. La mouvance de l’univers se trouve là, entre ces murs, arrêtée dans sa course, suspendue dans le temps.
Pierre Malphettes arrête au bouchon le sable qui s’écoulait de sa pièce. On pense au sabliers peints près des crânes humains dans les multiples tableaux de vanités. Comme il fige sur papier le battement des vagues, stoppées net dans leur entêtement par le dessin minutieux où le temps de l’homme le dispute à celui des éléments et le vainc un instant.
Ailleurs, dans d’autres dessins et d’autres arrangements avec les matériaux et les fluides, le papier buvard absorbe toute l’encre qu’il trouve dans le marqueur et produit une tache profonde, ourlée de clair, ressemblant à celle du trou noir apparu après combien de millions d’années-lumière sur les écrans des astrophysiciens. Taches noires qui s’organisent dans l’espace de la feuille comme des objets spatiaux, parfois pris de tentations géométriques et que chacun décrypte à l’aide de son propre imaginaire.
Amas d’étoiles ou de galaxies. Arrêts sur image d’un univers en perpétuel mouvement. Objets fractals, reproductions des mêmes effets à des milliards de kilomètres, d’années, d’années-lumière, du buvard au trou noir, du sable à la voie lactée, de la poussière à la montagne, des ions de l’eau à ceux du néon lumineux ou de la couche glacée de la crête de la montagne… Certes, comme disait l’humoriste, tout est dans tout et inversement. Et nous sommes là, quelque part, poussière de poussière, poussière d’étoile, vérifiant que notre trace, à l’échelle de l’histoire du monde restera infinitésimale, et à l’échelle de l’univers, bien entendu, négligeable, mais néanmoins réelle, comme des atomes du pudding de Noël de la Reine Mary se retrouvent par addition et mélanges successifs, chaque année, dans celui de la reine d’Angleterre, près de 10 siècles plus tard…
Car c’est avec cette même simplicité, cette même économie de moyens remarquable que Pierre Malphettes nous fait toucher du doigt la grande histoire du monde, pourvu que l’on veuille bien faire l’effort d’y consentir, pourvu que notre esprit prenne sa part d’imaginaire et de fiction dans ces paysages recréés et dans ces histoires naturelles qui se déroulent, en temps réel, sous et devant nos yeux de promeneurs.
Patrick Raynaud, 9 mai 2019
 
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