Laurent MALONE 

Diaporama dans quelques secondes…
Notre silence 1998
Livre, Éditions de l’Observatoire
Photographie Laurent Malone
Our silence
Book, Éditions de l'Observatoire

Notre silence a aussi été pensé et édité sous la forme d’un livre paru aux éditions de l’observatoire. Le livre recèle derrière une série de fumées blanches et grises, les images d’une cité des années 70. L’attention du lecteur ne sera retenue que s’il décide de s’attarder pour trouver derrière cet écran une invitation à traverser et à voir, au dela du sacré de la page et des cieux, un quartier ordinaire, enserré de silence, nommé Yougoslavie. Notre silence renvoie à la décision de voir.

Notre silence 1998
Affiche dans la ville
Le Triangle, Rennes
Photographie Laurent Malone
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Our silence
Billboard poster in the city
Le Triangle, Rennes

Parcourant la ville du centre en direction de la périphérie, observant les noms de rue, je me suis aperçu que les rues de la ville de Rennes étaient nommées selon un ordre historique.
En partant du centre et en allant vers le sud, on trouve successivement les noms des révolutionnaires français, des généraux napoléoniens, des résistants gaullistes, et des résistants communistes ; soudain, comme une rupture, un nouveau quartier construit dans les années 70 est nommé "Yougoslavie". Autour de ce quartier, d’autres quartiers nommés eux-aussi de noms de pays étrangers, situés de l’autre côté du Rideau de Fer. C’est à partir de ce constat et de la question posée par cette rupture, du passage soudain de cette frontière qu’en pleine guerre de Yougoslavie, si lointaine et si proche, à plusieurs reprises, je suis venu photographier cette cité ordinaire de Rennes.
Ici à Rennes, la rupture sociale ne s’est pas uniquement effectuée par le passage d’une route ou d’un port, mais par la toponymie. Cette cité, je ne l’ai pas photographiée de manière critique, mais plutôt comme un lieu où les passages sont multiples et dont les urbanistes ont tenté de faire une cité de vie idéale. Coupée du centre ville par son nom, donné de manière aléatoire, comme on nomme un pays on trace une frontière, séparant des populations, créant des conflits.
Ce projet est également lié à la dernière image montrée par les médias pendant la Guerre du Golfe et en particulier à l’un des derniers épisodes, celui de la route de Bassorah : l’image plein cadre des fumées des puits de pétrole incendiés (l’enjeu du conflit), alors que les troupes alliées venaient de massacrer, sur la route de Bassorah, les soldats irakiens qui remontaient vers le Nord, après leur reddition.
J’ai été surpris du silence soudain des médias qui s’abattait sur ce fait de guerre. L’Occident pouvait se consacrer à un autre conflit.
Par ce travail, j’ai voulu dire le proche et le lointain, et aussi le temps de l’histoire, le passage permanent d’un état de guerre à un autre état de guerre.
Il ne s’agit pas d’une lecture sociale, mais d’une citation. Ce qui est cité, c’est la proximité de la violence sociale ; le conflit est dans nos murs : ici, le conflit qu’on refuse de voir, là-bas, un conflit qu’on ne voit pas, masqué par une surenchère médiatique. Les fumées apparaissent comme la métaphore du silence qu’on plaque sur le conflit, la métaphore de la violence.
L. M.

While crossing the city from the center towards the outskirts, observing street names, I realized that the streets in the city of Rennes were named follwing to a historical order. Moving from the center towards the south, one finds a succession of names belonging to French revolutionaries, Napoleonic generals, Gaullist resistants, and communist resistants ; suddenly there appears, like a rupture, a new district built in the 70’s and named “Yugoslavia”. Surrounding this district, are other districts also bearing the names of foreign countries located on the other side of the Iron Curtain. It is based on this observation and the question posed by this rupture, the sudden crossing of this frontier, in the midst of the war in Yugoslavia, so far and yet so near, that I returned several times to photograph this ordinary city in Rennes. Here in Rennes the social schism didn’t take place solely because of a road or a port, but by way of the toponymy. I didn’t photograph this city in a critical manner, but rather as a place made of multiple passages which urban planners tried to make into a city of ideal life. Cut off from city center by its name, given in an arbitrary manner, the way one names a country or draws a boundary, separating populations, creating conflicts. This project is equally bound to the last image shown by the medias during the Gulf War, and in particuliar to one of the last episodes, that of the Bassorah route : the full-frame image of smoke from burning oil wells (the stakes of the conflict), while allied troops had just massacred Irakian soldiers returning North after their surrender. I was surprised by the medias’ sudden silence regarding this incident of war. The West could dedicate itself to another conflict. Throught his work, I wanted to deal with what is far and near, and also the time of history, the permanent passage from a state of war to another state of war. It’s not a social reading, but a quotation. That quoted is the proximity of social violence ; the conflict is within our walls, over here, the conflict one refuses to see, down there, a conflict one does not see, masked by a media bluff. The smoke appears as the metaphor of silence plastered on the conflict, the metaphor of violence.
L. M.