Marion MAHU 

Pédiluve 2005
Installation, béton
Galerie des bains douches, Marseille 2005

Dans cette pièce, il n’y a rien d’autre qu’une estrade faite de dalles en béton.
La première personne a être monté dessus s’est laissé surprendre par la fragilité du sol, mais n’a cassé que la première marche. Les suivants ont testé avec plus ou moins d’enthousiasme et d’acharnement si toute l’estrade était faite de dalles non armées.

« je suis fait de gris »

Dans l’absolu, le mélange de toutes les couleurs donne du blanc mais dans la pratique, j’obtiens du gris. Les choses ne sont ni noires ni blanches mais grises comme le ciment de l’installation « Pédiluve ».
Cette oeuvre prend la forme d’une estrade faite d’une marche et d’un sol de carrelage gris. La pièce laisse au premier abord une impression de mystère et de secret, de regret aussi par son apparence minimale et les murs laissés nus. De plus près, on s’aperçoit que chaque plaque de recèle la beauté du matériau, un légère irisation, une peau veinulée. L’une des propriétés du ciment est de ne pas présenter intégralement à l’intuition sensible toute sa richesse.
L’autre propriété du ciment est sa robustesse. Cette association d’idée est évidente à l’esprit mais ne l’est plus dans la réalité mise en place dans Pédiluve. Si le pédiluve est un bassin destiné à nettoyer les pieds, celui-ci s’amuse à détromper le regard par les pieds.
La fonction du simulacre est de ressembler, de tromper, de séparer la chose entre le regard et la pratique. Un simulacre de plancher n’a donc pas à répondre à l’ingénierie architecturale d’un vrai plancher. Il doit seulement avoir l’air solide.
Pédiluve est une oeuvre pour piéton qui ne marche que si l’on parcourt son espace. Elle met littéralement le spectateur au coeur du travail. Elle fonctionne comme une sorte de décor de théâtre où le spectateur est mis en scène. Il est sujet de la pièce et d’une tectonique des plaques (de ciment) qui appelle à son intervention au sein du processus de construction de l’oeuvre par la destruction de la scène. Interpréter Pédiluve consiste à précisément rentrer dedans. Marion programme l’accident. Elle met en place un système d’érosion fulgurante. Du point de vue du regardeur, vivre l’oeuvre est la détruire, la consommer véritablement. Ce processus multiplié par le nombre de spectateurs, n'ouvre pas l’oeuvre d’art sur un monde transcendant situé plus haut mais dans le monde réel, d’en bas, plus profond, plus universel. Cette confrontation se définit suivant plusieurs dimensions : le faux-semblant, le réel, le saccage. Pédiluve amène le spectateur à une démarche grotesque, dans son déplacement et car elle fait de lui un vandale. La surface de fine plaques de béton n’est que le voile recouvrant la magie du trompe-l’oeil, on s’enfonce, on pénètre dans le sujet, on traverse littéralement l’espace avec au départ l’innocence du jeune enfant face au désastre, on passe au travers et on fait connaissance avec le vide, puis rapidement l’euphorie jubilatoire du jeune enfant qui réduit le monde en miettes ou du spectateur déboussolé par le contemporain qui dégomme de l’art minimal. Oui, oui, oui mais on est manipulé. De petits êtres dociles, les fidèles reflets du monde qui les nargue et qui lui fabrique des objets à casser. Un espace, celui de l’oeuvre s’effondre dans un autre, celui de l’exposition. Après l’exposition, l’oeuvre n’existe plus que dans les documents, les souvenirs, l’éventualité d’une reconstruction.

Luc Jean D’heur