Arnaud MAGUET 

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Éric Mangion : Le lien qui semble réunir une grande partie de ton travail est la musique. On a même parfois l'impression que tu es un musicien dévoyé qui s'amuse à "bricoler" des oeuvres, des objets.

Arnaud Maguet : la musique est importante. C'est dans cette forme qui plastiquement n'en a pas que, souvent (mais pas systématiquement), je trouve prétexte à réflexions. C'est drôle que tu penses ça car je me sens vraiment comme l’inverse : un plasticien qui "bricole" la musique - une discipline que je n'ai pas étudiée d'une manière technique (je n'ai jamais appris à jouer d'un instrument), ni de manière théorique (je n'ai jamais suivi de cours d'histoire de la musique) et que j'aborde depuis toujours de façon empirique. Je me dirais plutôt "non-musicien" au sens où l'entend Brian Eno. Il se définissait ainsi au sein de Roxy Music, puis ensuite dans sa carrière solo et en tant que producteur. Cette notion peut paraître floue ou snob, pour ceux qui ne pratiquent pas la musique, mais quand on collabore avec des musiciens expérimentés, voire professionnels, la différence est flagrante et séminale. Il est vrai, par contre, que je m'amuse à bricoler des objets.

É.M : Puisque tu es avant tout un « plasticien », qu'est-ce qui t'intéresse tant dans la musique ? En quoi cette dernière peut devenir une source d'inspiration si constante ?

A.M : Ce qui me turlupine en ce moment, c’est l’absence de forme physique de la musique et le besoin que l’industrie a, à quelque niveau que ce soit, de lui en imposer. Les flux et reflux des images créées par le pouvoir diégétique de la musique sont constamment contraints par les formes proposées par les systèmes de diffusion, du plus outrageusement commercial au plus radicalement underground. J’apprécie ce champ flou des possibles, cette interzone qui sépare la liberté totale de représentation mentale des sons et les rails médiatiques sur lesquels on fait filer la musique pour optimiser les rapports de production.

É.M : Plus concrètement, comment s'opère ce passage de la fétichisation de la musique que tu évoques vers des formes plastiques ? J'ai en effet l'impression que ce sont les histoires, les légendes de la vie musicale que tu cherches à « imprimer », et non les produits dérivés que son industrie fabrique en série.

A.M : Depuis un moment, je pense avoir touché le fond des formes marchandes. J’ai donc commencé à creuser sous la surface glacée des pochettes, affiches et autres clips vidéo. Dans la géologie de ces cultures populaires, j’attaque des couches de sédiments plus anciens, mieux dissimulées au regard des mass-médias. En suivant les racines des formes actuelles, on pénètre dans cet univers de traditions dévoyées, de légendes improbables et d’histoires tronquées qui, par ses incertitudes, donne une grande liberté d’assemblage. Devant moi est disponible, présenté de manière plus ou moins distinct, toute la palette des modes d’enregistrement, d’amplification et de représentation, je m’amuse à tirer des liens interlopes entre eux. Miracle de la réification, parfois l’assemblage acquière son autonomie formelle et tient debout quand on enlève ses béquilles narratives.

É.M : Je suppose que ce sont pour ces raisons que les Juke Joints sont des formes que l'on retrouve régulièrement dans ton travail. Des Juke Joints qui fonctionnent comme des lieux d'enregistrement, de stockage ou carrément de surface d'exposition.

A.M : Ce lieu nodal où ont convergé de multiples traditions m’est apparu signifiant au fil de lectures de biographies de musiciens. Je me suis approprié ces cabanes rudimentaires, légendaires et fantasmatiques. Zones de tous les possibles capables d’accueillir les histoires que je raconte, elles se sont imposées, plus ou moins dégradées et déconstruites, dans mon paysage. Décors, dispositifs et à la fois installations, elles restreignent les espaces d’exposition à des dimensions plus intimes qui me paraissent plus à même de rendre compte des temporalités plurielles de processus que je propose d’activer : productions, enregistrements, performances, diffusions… La construction d’un juke joint est l’occasion de rassembler en un lieu et un temps d’exposition dédiés des projets qui souvent se sont développés hors des murs et des contingences du white cube.

É.M : Ces « cabanes rudimentaires » participent également à une esthétique du provisoire qui sous-tend l'ensemble de ton travail, avec notamment des oeuvres qui jouent avec des formes référencées en les dévoyant de leur usage normal, qu'il soit artistique ou purement fonctionnel. Je pense notamment au moule à tartes ou à la Dream Machine.

A.M : C’est ma façon principale de penser de nouvelles pièces. J’accumule beaucoup de matière (objets, sons, images, textes, matériaux…) dans mon atelier, ma tête ou mes disques durs. Déjà chargées d’histoires, ces choses que je croise et qui m’interpellent, passent par une phase de stockage. Ce temps de décantation est capital et peut durer plusieurs années. Je leur tourne autour, les appréhende selon des angles différents et parfois, un jour, par des jeux d’analogies formelles, sémantiques ou à la lumière d’une nouvelle rencontre, elles se connectent, s’assemblent ou s’empilent de manière signifiante et entrent en résonance avec les légendes que je traîne derrière moi. Parfois aussi, rien n’évolue et ces éléments, pour faire de la place, rejoingnent l’endroit d’où, bien souvent, je les avais sortis, la poubelle. Il arrive également que ça ne se passe pas comme ça. Pour Dark Side Of The Moon (2008), un des exemples que tu cites, j’étais dans ma cuisine dans un état de conscience extrêmement altérée et de ce vieux moule à tartes, l’image de l’œuvre a violemment surgi. Il faut savoir rester vigilant en toutes circonstances.

É.M : Cette façon que tu as de concevoir tes oeuvres de manière low tech tout en utilisant des moyens de diffusion extrêmement contemporains (projection vidéo, installation sonore ou multi média, caisson lumineux...) crée une drôle d'atmosphère, une atmosphère paradoxale. C'était flagrant dans l'exposition Mais qu'est-il arrivé à cette musique ?. C'est comme si tu voulais utiliser tous ces supports tout en te méfiant de leur pouvoir de séduction ou de persuasion.

A.M : Je définirais cette atmosphère comme périphérique. Elle tourne autour de formes et de moyens clairement identifiés dans l’histoire des représentations, mais elle demeure à la lisière de leurs zones d’influence, dans une pénombre intermédiaire. Par manque de moyens ou de volonté, éblouie par la pollution criarde des néons, elle se fige en une manière de mimique parodique qui visait la lumière mais qui, en route, a abandonné. Le tir hyperbolique rate donc sa cible et échoue dans cet espace crépusculaire où les signes orphelins de plus de cinquante ans de culture populaire sont entreposés, se dégradent, pourrissent et finissent par se sédimenter. Là peuvent alors muter et croître des formes nouvelles d’où pointent encore quelques séquelles d’un passé efficient. Cette stratégie à la fois volontaire et subie peut rappeller celle qui entoure l’œuvre des Count Five à ceux qui savent qui ils sont.

É.M : Peux-tu en dire plus sur les Count Five ? Justement pour ceux « qui ne savent qui ils sont ».

A.M : J’évoque les Count Five, mais j’aurais pu tout aussi bien parler de dizaines d’autres groupes aux noms suréalistes : The13th Floor Elevators, The Electric Prunes, The Shadow of Knight, The Chocolate Watchband et bien d’autres. Le point commun de tous ces groupes est de s’être formés aux Etats-Unis au milieu des années soixante après que la jeunesse américaine ait violemment redécouvert son patrimoine musical (le blues et le rock’n roll primaire) à travers le succès fulgurant des Beatles, Rolling Stones, Animals et consort - succés qui fut stigmatisé par l’expression British Invasion. Pour faire court, ces jeunes américains, qui pour la plupart savaient à peine jouer, répétaient dans leur garage sur un matériel souvent rudimentaire les morceaux qu’ils entendaient à la radio ou dans les jukeboxs. Ils n’avaient ni les connaissances ni les conditions techniques pour imiter leurs modéles. Par une sorte de formidable énergie de la frustration qui les poussa à simplifier à l’extrême leurs compositions, ils ont inventé un nouveau style - le garage rock (qui dix années plus tard prendra le nom de punk rock). J’aime à m’inspirer de cette stratégie d’improvisation et d’inconscience : être fasciné par un modèle, vouloir l’imiter à tout prix, faire avec les moyens du bord et foncer, se perdre en route, découvrir une forme nouvelle et imprévue, se l’approprier et la développer.

É.M : Tes références basculent souvent de la musique populaire, comme tu viens de le faire, à la musique expérimentale, de Elvis à La Mounte Young, des Beatles à Terry Riley. Comment ce va-et-vient s'opère-t-il au sein de ton propre travail ?

A.M : Je ne me pose en général pas réellement la question, une sorte de principe non d’équivalence mais de refus de hiérarchisation prévaut. Je pioche des idées, des images mentales ou des interrogations autant chez T.W. Adorno que chez Dashiell Hammett, qui, contemporains, ont pourtant des conceptions diamétralement opposées des valeurs pouvant être véhiculées par les arts populaires. Ce processus est très naturel, autant dans mon travail, mes lectures, que sur ma platine domestique. Concernant la musique expérimentale, et plus spécifiquement la musique répétitive, elle devrait être considérée comme une musique populaire. Il n’y a, à mon sens, aucune opération intellectuelle qui précède de manière impérative l’écoute de ce type de musique et qui justifie son classement dans une catégorie savante. Il n’est ici question que d’une ouverture assez large d’esprit qui laisse glisser l’inconscient dans une transe primitive et répétitive. Les mélodies ancestrales desquelles transpire cette musique sont, aux quatre coins du monde, toutes festives ou cérémonielles.

É.M : Au-delà de la répétition, tes oeuvres évoquent parfois des phénomènes d'amplification. Je pense notamment aux Banshees.

A.M : Au sens propre (amplification des images par la lumière qui traverse les diapositives ou du son par diverses lampes, transistors et oscillateurs) comme au sens figuré (amplification narrative d’une anecdote ou d’un fantasme), il s’agit, c’est vrai, d’une dimension récurrente dans mes propositions. Le vecteur de ce phénomène est souvent le parcours de la puissance électrique, de la prise de courant/source au public/récepteur et toutes les dérivations possiblement envisageables en chemin. Les multiples câbles qui jalonnent mes installations en sont les signes les plus visibles. Ils tissent les réseaux nécessaires au fonctionnement des dispositifs sonores ou lumineux amplifiés et peuvent aussi évoquer les systèmes de connexion parfois complexes qui relient les différentes histoires que je raconte. Une chose est sûre, l’ombre récurrente qui plane au dessus de toutes ces légendes est celle de la Fée Électricité. Elle a rendu la plupart de ces révolutions possibles et, au jour d’aujourd’hui, je n’envisage pas de concevoir une exposition unplugged où elle ne serait pas conviée. Ce ne serait pas très urbain. Pour le projet Banshees, qui lui, au sens littérale, l’est, se sont les frontières de l’amplification qui, par l’amplitude de l’hystérie sont redessinées.

É.M : En quoi ces « légendes improbables » et ces « histoires tronquées » de la musique comme tu les nommes un peu plus haut t'intéressent-elles ? Pour leur force d'évocation ? Ou pour leur caractère « rendez-vous ratés », « erreurs d'enregistrement », voire « non enregistrements » ?

A.M : Il y a trois bouquins qui m’ont vraiment marqué sur ce sujet, Les Héros oubliés du rock’n’ roll et Blackface de Nick Toshes, À la recherche de Robert Johnson de Peter Gulranick. Quand j’y repense, ce sont paradoxalement les zones d’ombres de ces biographies qui me reviennent. Ces moments où les auteurs perdent la trace de leurs sujets, partent en digression ou simplement avouent leur ignorance. Deux mois, deux ans, vingt ans, qui, comme ça, résistent aux historiens et semblent avoir disparu du cours du temps. Passés entre les gouttes de la représentation et de la postérité, il y a même certains musiciens évoqués dans Les Héros oubliés du rock’n’ roll dont on ne connaît aucune photographie, qui n’ont jamais rien enregistré ou dont les enregistrements ont été perdus. Ce sont des fantômes de la tradition orale. La possibilité de fantasmer le contenu de ces vides dans l’Histoire m’intéresse, les boucher avec ce que j’y projette et qui, bien souvent, n’y rentre que de force m’amuse. Je me fiche un peu de la véracité des histoires que j’évoque, ces trous béants dans le savoir encyclopédique mondial ne demandent qu’à être remplis par mes supputations les plus farfelues. D’autre part, comme une bande annonce est parfois plus intéressante que le film qu’elle promeut, il faut parfois mieux raconter ce qui ce serait passé si on avait appuyé sur record plutôt que de réellement s’exécuter – éparpiller quelques indices de narration et voir comment ils seront découverts et organisés par d’autres. Il se peut également que je n’ai pas envie de jouer les petites mains, il s’agira alors de contempler ce passé comme un dentelle complexe et mitée, refuser de la raccommoder et projeter son ombre comme un motif oublié.

É.M : N'as-tu pas peur que les oeuvres que tu produits, même si elles font preuve d'une esthétique bricolée ou incertaine, ne soient pas à l'encontre de ces zones dont tu parles en proposant une fétichisation contraire à « l'esprit de l'oralité », de la légende ?

A.M : J’aime à croire que mes œuvres ne sont pas totalement figées, même s’il est vrai qu’une fois vendues, c’est techniquement assez difficile de revenir dessus ou de les améliorer si nécessaire. L’amélioration étant évidemment une notion assez relative. Certains dispositifs, accompagnés d’un protocole précis, sont à réactiver à chaque monstration, quelque chose de surprenant et d’inédit peut alors se produire (ou pas). Il m’arrive également de réaliser plusieurs propositions, souvent avec des médium variés, qui prennent comme prétexte la même anecdote ou légende, comme différents points de vue sur un fait unique, une histoire qui s’écrit, un champ qui reste ouvert. Parallèlement, j’accorde de plus en plus d’importance à la dimension directement narrative de mes propositions, soit sous une forme orale lors de visites guidées, soit sous une forme écrite dans des notices qui accompagnent les expositions. C’est une façon à la fois de donner une deuxième lecture de la pièce, de retracer sa généalogie dans mon corpus, et d’inciter les regardeurs à piocher dans leurs propres histoires, réelles ou fantasmées, pour créer des liens personnels avec ce qu’ils ont sous les yeux. La société spectaculaire marchande les ayant forcément, d’une manière plus ou moins insistante, eux aussi aguichés.

É.M : Il me semble que ce n'est pas le côté « adaptable » de tes installations qui te permet d'aller outre l'inexorable fétichisation de l'objet, ni la dimension narrative des textes que tu écris (et sur lesquelles nous reviendrons plus tard), mais plutôt le contenu même de certaines de tes pièces. Je pense à In Elvis We Trust (la décharge) (2008) ou La société du spectacle (Backstage) (2008) qui fonctionnent toutes les deux comme des vanités de notre époque. La première en utilisant le nom de Elvis comme support publicitaire amassé dans une vulgaire décharge. La seconde en inversant la fameuse banane du Velvet et de Warhol comme un miroir de nos illusions.

A.M : Justement, je pense que ces « vanités de notre époque » et « miroirs de nos illusions » (j’aime bien ce terme, je le ressortirai) ne peuvent fonctionner que grâce à une certaine forme d’appropriation de la part du public, appropriation qui passe, à mon avis, par les résonances que provoquent ces histoires en chacun. Sans ces manières de déjà-vu, le miroir aurait peu à nous renvoyer.

É.M : Je n'ai pas l'impression que certaines de tes pièces aient besoin d'une « dimension narrative » extérieure à leur propre forme. Elles se suffisent parfois à elles-mêmes. Les Meeting Point ou In Elvis We Trust en disent assez sur la fin des illusions et les fausses espérances. Les Beatles ou Elvis sont des mythes contemporains qui appartiennent à l'inconscient collectif - quels que soient les pays ou les niveaux sociaux. Mais pour en revenir à ces histoires auxquelles tu accordes de plus en plus d'importance, comment se constituent-elles ? Leur écriture ressemble beaucoup à celle de Jean-Patrick Manchette par leur style post-situationniste, bercé de nervosité et de mélancolie à la fois.

A.M : « Femmes voluptueuses et philosophes, c’est à vous que je m’adresse ». C’est par cette phrase que Manchette, je ne sais trop pourquoi, achève Fatale (1977). J’aimerai pouvoir conclure une exposition avec autant de classe. Manchette, c’est une sorte de Dashiell Hammett version française et 70’s, il ne pouvait que me plaire. Le roman noir (ou hard boiled pour être précis), comme le garage rock, utilisent des stratégies dont j’aime à m’inspirer. C’est une littérature populaire, dite même « de gare », qui peut être appréhendée de multiple manières ; aventure, séduction, suspense, mais aussi violente critique sociale et véhicule politique. L’auteur introduit ses intentions par le biais d’une intrigue lambda qui, subrepticement, dérape dans la fange de la société contemporaine et révèle alors les dommages collatéraux de la lutte des classes. Hammett était considéré comme un des plus grands écrivains américains avant que la plupart des bibliothèques du pays ne soient expurgées de ses ouvrages pendant le maccartysme. Je ne suis ni un théoricien, ni un critique d’art, loin s’en faut, et je ne souhaite (ni d’ailleurs ne peux) en aucun cas adopter leur prose souvent emmitouflée. Les textes que j’écris sont simples, secs et prennent presque toujours une forme narrative. C’est la forme la plus familière dans ce qui me nourrit et je trouve cohérent de m’en servir également pour commenter ce que je régurgite. Le texte naît pendant la production d’une pièce, pour me raconter ce que j’essaie de faire, pour fixer les idées en orbite dans ma tête. Il est ensuite remanié afin que l’histoire soit racontée à d’autres. J’ai piqué, je le confesse, quelques formules et tournures de phrase particulièrement percutantes et brillantes à Manchette, mais peut-être les avait-il lui même emprunté à quelqu’un qu’il admirait. Dans la première moitié de son journal édité l’an dernier, on en apprend long sur sa manière de travailler en général (documentation hyper-spécialisée, cinéphilie compulsive…) et d’écrire en particulier (urgence de la production, incontournable béhaviorisme…). Je dois dire que je me suis retrouvé dans ce récit. Il y commente à la fois les désillusions politiques de l’après 68 et la décadence du cinéma américain dont il a tant vénéré l’âge d’or, le tout, bien sûr, avec humour et auto-dérision. « Moi, je prétends que je frime », disait-il.

É.M : En parlant de cinéma, tu entretiens un rapport ambivalent avec ce dernier, une fois de plus au croisement du désenchantement et des interrogations sur ses modes de production. Je pense à ce film, Girls Are Weird (2006) qui se compose d'un long travelling fixant le corps agité d'une fille qui traverses une casse automobile à vive allure et de manière visiblement nerveuse. Il y a à mon sens une vraie étude sur la fabrication de l'image tout en affirmant sa désuétude.

A.M : Ce film est le reliquat d’une série éponyme de courtes vidéos réalisées très rapidement. Ce devait être une collection in progress de portraits de filles qui servirait de prétexte à des décorticages de la forme filmique ; images, sons, musiques et fils narratifs y étaient déconstruits et ré-assemblés sens dessus dessous. À la fin, seule cette proposition, la première réalisée, a été conservée. Je pense qu’elle se suffit à elle-même. Elle est à la fois très référencée (la tenue, la coiffure et le décor) et assez mystérieuse (caméra subjective, absence de contre-champs, d’indices narratifs et d’informations sonores) pour évoquer beaucoup de possibilités que j’avais en tête tout en n’affirmant de manière définitive qu’une seule et unique chose : le projectionniste n’a pas bien fait le recadrage et a oublié d’enclencher le son optique.

É.M : Tu t'intéresses particulièrement aux films de série Z, ceux où l'on ne cache pas les défauts du jeu, les modes de production ou les trucages parfois foireux. Cela rejoint me semble-t-il tes préoccupations sur l'esthétique garage telle que tu l'as définissais un peu plus haut.

A.M : Disons que de Z à B, je suis en train de faire un saut vertigineux à rebours dans l’alphabet. Les films Z sont comme certaines vidéos d’art : on est heureux qu’ils existent et qu’on nous les raconte, mais ils sont terriblement ennuyeux à regarder en entier. Comme je le disais plus haut, la bande-annonce suffit. Qui a déjà regardé un film de catcheurs mexicains dans sa totalité sait de quoi je parle. Le postulat de départ, souvent totalement surréaliste et génial, a bien du mal à tenir la distance d’un long métrage. Les films de série B sont réalisés avec moins de je-m’en-foutisme, et malgré des moyens limités, ils sont plus écrits et ambitionnent de rivaliser avec les grosses productions. C’est en cela, qu’ils me semblent se rapprocher d’avantage d’un style garage. Toujours dans l’urgence, ils visent plus haut. Il y a dans les films de série B comme une volonté de transcender sa condition, alors que le Z semble s’y vautrer. Z et B ont néanmoins des points communs, notamment dans l’emploi récurrent des stock shots, ces extraits de reportages peu onéreux qui parfois influencent, selon leur orientation (animaux, catastrophes naturelles, guerres, sciences…), l’écriture des scénarii. Les scènes de fiction serviront ensuite de transitions. Le travail des monteurs en devient capital, ils doivent redoubler d’inventivité pour faire de ces formes décousues des ensembles cohérents. Ce type de contraintes me plait. Il faut de la virtuosité pour faire avec les moyens du bord tout en refusant de subir.

É.M : En restant dans le domaine des images, il y a un paradoxe dans ton travail. Tu es en effet autant attirer par les images suburbaines, notamment ces immeubles lambda comme on peut en voir à la périphérie de la plupart des villes, que par des clichés exotiques à l'apparence acidulée. Qu'est-ce qui peut relier ces deux univers a priori opposés ?

A.M : J’utilise différents corpus d’images, et souvent, ils viennent à moi soit sous le mode du found footage (trouvés au marché aux puces ou dans un grenier familial) ou du stock shot (achats d’un ouvrage dédié ou recherche ciblée sur internet). Ces images qui m’interpellent pour diverses raisons (incongruité ou au contraire tragique banalité) sont ensuite stockées et attendent de rentrer en résonance avec d’autres éléments : lectures, musiques, sons, objets… Il y a, me semble-t-il, au moins deux points communs aux deux corpus que précisément tu cites : premièrement le support de diffusion, la carte postale, et deuxièmement les constats d’échec qu’elle véhicule - échec de recréer artificiellement le paradis perdu des îles du Pacifique Sud et échec de la conservation d’un patrimoine architectural souvent détruit lors d’une guerre (quand on immortalise ce type de construction, c’est qu’il n’y a vraiment plus rien d’autre à montrer). Ces cartes postales voudraient nous montrer quelque chose qui n’existe plus. Sur le papier pelliculé apparaît donc un visuel par défaut, dans un cas une reconstitution, dans l’autre un pis aller.

E.M : Ton exposition à la Villa Arson faisait apparaître ton goût pour la culture psychédélique. En quoi cette dernière t'intéresse-t-elle ? Le psychédélisme est en effet une nébuleuse un peu complexe.

A.M : Dans une large proportion, je suis moins allé vers le psychédélisme qu’il n’est venu à moi et m’a proposé des images dont il fallait se rappeler le lendemain matin. Je le vois comme le souvenir fuyant d’un champ des possibles plus vaste, le moment d’un espace mental où les agrégats de formes que je produis peuvent se structurer d’une manière plus libre encore, débarrassés de certaines contingences que souvent, même inconsciemment, je m’impose. En voilà ma définition personnelle, donc. Pour ce qui est de ses signes culturels historiquement identifiés, je les prélève sur la palette des formes du passé pour évoquer une tristesse, le spleen de certaines promesses non tenues une fois les consciences de nouveau contractées. Si je devais conserver deux paramètres de la culture psychédélique, ce serait, je pense, 1/ sa liberté dans l’appréhension de la durée 2/ son utilisation musicale des effets (delay, reverse, reverb, echo…), et comment ceux ci peuvent être repensés comme grammaire d’exposition.

E.M : Une pièce de ton exposition à la Villa Arson était composée de plantes hallucinogènes réunies dans une sorte de serre souterraine, comme s'il s'agissait d'un laboratoire clandestin destinée à la production de je ne sais quel produit psychotrope. Cette installation (Mind Garden, 2008) pouvait également fonctionner comme un écho à la culture psychédélique, notamment par la bande son qui l'accompagnait, avec une musique composée par Vincent Epplay. Peux-tu évoquer le lien qui unissait les plantes, le son et l'installation proprement dite ?

A.M : De nombreux disques destinés à être diffusés à des plantes ont été édités. Un japonais, le professeur Ken Hashimoto, « docteur en philosophie et en sciences », a même réussit, par la musique, à établir un « dialogue » unique à ce jour avec son cactus, et ce, après lui avoir appris à compter jusqu’à vingt ! Dans Mind Garden, les plantes écoutaient une bande sonore d’inspiration psychédélique. Construite à partir de trois sources monophoniques non-synchrones, cette forme sonore instable se créait de manière spontanée et imprévue à chaque instant. Les plantes n’ont pas eu l’air de particulièrement apprécier. À ma connaissance, aucune n’a appris à compter. On a pu, en revanche, constater qu’une dose trop élevée de psychédélisme semble nuire à la santé car la plupart des plantes, contrites dans l’air vicié d’un espace confiné, ont flétri, dépéri puis sont mortes. À la fin, l’exposition ressemblait, sous le soleil artificiel du sodium écrasant, à l’automne d’une utopie sèche et malingre. Avec le recul, je ne sais trop ce que nous avons bien voulu tenter de démontrer par cette expérience - rien de précisément défini je pense. Sans doute s’agissait-il d’une expérience au sens où l’entend Jacques-Alain Léger lorsque, en 1997, il évoque ses années hippie dans Ma vie (titre provisoire) : « Expériences était le terme dont on qualifiait alors avec un sérieux un rien risible ces délires plus ou moins réfléchis ».

E.M : Parallèlement au psychédélisme, tu t'intéresses au surf et à sa culture. En quoi, ce dernier constitue-t-il pour toi un univers de référence, sachant que tu n'es ni un pratiquant assidu, ni même un amateur érudit du genre ?

A.M : Tout d’abord, je ne t’autorise en aucune manière à porter un jugement sur mon niveau en surf qui, de l’avis de tous, est bien moins pire qu’il pourrait être et ne l’a été. Ensuite, je ne pense pas réellement m’intéresser au surf au sens où je ferai un focus particulier sur cette niche de culture populaire. C’est vraiment lors de mes collaborations avec Olivier Millagou que je me frotte à cet univers qui le passionne mais qui pour moi n’est qu’un prétexte à, comme dans Surf Now Apocalypse Later (((redux))) (2008), interroger encore une fois la forme filmique. La narration, les images, les ambiances sonores et la musique, tout dans ce surf movie lo-fi est déconstruit et rangé dans sa case spécifique. Les lois du genre (images spectaculaires, musique démonstrative, rapidité du montage, paysages exotiques…) sont ici bannies, comme obsolètes ou inappropriées pour ce qui nous importe de relater. Cette aventure, qui a conduit des objets d’exposition (les planches de surf produites par Olivier) à revenir vers l’océan, est une narration séquentielle au Polaroïd ; une machine à générer situations, rencontres et collaborations (Gibus de Soultrait pour le texte et WarmBaby pour la musique) ; quatre façons de rendre compte de ce qui est enregistrable de la réalité ; un film de surf sans surf ; un road movie atmosphérique dans l’esprit du Grand Film, le fantasme des Merry Pranksters sur l’art, la vie et les moyens de les faire à tous palper.

E.M : Tes collaborations avec d'autres artistes, architectes, écrivains, musiciens sont nombreuses. Ton exposition à la Villa Arson était personnelle et collective à la fois. Tu es également membre de plusieurs groupes de rock (ALPHA-60, Beauty & the Beat, the Groovers…), ainsi que le créateur d'un label de musique (Les Disques en Rotin Réunis) résolument prospectif. Comment s'opère ce passage entre ces différents statuts, ces différentes coproductions ?

A.M : Le moteur de ces différentes activités est, je pense, le refus de n’être qu’un spectateur. Pour ce faire, il m’est apparu inévitable de provoquer moi-même certaines situations que je souhaitais expérimenter. Le but en est simple : alimenter sa libido pour projeter de réelles envies personnelles et non répondre au stimuli de celles que l’on tente de nous faire prendre pour notre et qui sont parfaitement génériques et désincarnées. Peut-être par crainte de ce que j’allais trouver dans ces régions inconnues, j’ai entraîné quelques comparses dans l’aventure, histoire d'improviser ensemble des solutions face à des nouveaux problèmes. En cela, les rencontres sont capitales. Parfois, une œuvre amène vers un individu. Parfois, c’est l’inverse qui se produit. Parfois, je prélève un élément qui m’intéresse et fait sens avec mes recherches. Parfois, il s’agira d’une genèse commune et les choses naissent alors de plusieurs mains. J’aime utiliser dans mes expositions des éléments provenant du travail d’autres personnes. J’aime également me mettre au service du projet d’un autre, notamment par la production de bandes originales d’exposition comme on le ferait pour une fiction. Pour l’une comme pour l’autre de ces situations, le metteur en scène (en anglais, le terme director est plus explicite) doit être clairement défini à l’avance. Il faut que la vision d’un seul définisse la direction principale des opérations, que les divers protagonistes sachent clairement quel est le capitaine du navire à bord duquel ils s’embarquent. Une fois le projet lancé, point trop de démocratie ne doit venir délayer le propos et toute mutinerie sera sévèrement réprimée - tout simulacre aussi.

TRADUCTION DE L’ENTRETIEN ENTRE ERIC MANGION ET ARNAUD MAGUET



Eric Mangion : The link between many of your pieces seems to be music. Sometimes we even have the feeling that you are a depraved musician having fun knocking up works of art, or objects.

Arnaud Maguet: Music is important. I often (but not systematically) find a pretext for thought in this form that, precisely, lacks a formal aspect. It’s funny that you should see things that way, because I feel like I’m just the opposite: a visual artist “tinkering” with music – a field that I never studied either technically (I never learnt to play an instrument) or theoretically (I never studied the history of music), a field that I have always approached experimentally. I would be more tempted to call myself a “non-musician” in the way that Brian Eno says it. He described himself in such a manner as part of Roxy Music, later on in his solo career, and then as a producer. This idea may seem vague or snobbish to those who do not play music, but when you work with experienced musicians, or professional ones, the difference is obvious and seminal. On the other hand it’s true that I have fun knocking up objects.

EM: Since you are first of all a “visual artist”, why are you so interested in music? How can music become such a constant source of inspiration?

AM: What has been bothering me lately is music’s lack of a physical form, and the industry’s need, on all levels, to force it into having one. The flow of images created by the diegetic power of music is constantly restrained by the forms offered by the systems of distribution, from the most outrageously commercial to the most radically underground. I like this hazy field of potentialities, this interzone that separates the total freedom of mentally representing sounds, and the beaten track followed by the media to optimise musical production profits.

EM: More concretely, how does this passage from a fetishist approach to music to visual forms happen? I have the feeling that it is the stories, the legends of musical history that you are trying to “imprint”, and not industrial, mass produced objects.

AM: I’ve been thinking for a while that I have reached the bottom of merchant forms. So I started digging beneath the glazed surface of the sleeves, posters or video clips. In the geology of these pop cultures, I have been attacking layers of ancient sediments, better protected from mass media. When you follow the roots of actual forms, you enter the world of displaced traditions, of unlikely legends and shortened stories, a world which, by its uncertainties, leaves you great freedom to assemble. In front of me, available, presented more or less distinctly, is the entire gamut of recording, amplifying and staging systems. I enjoy finding shady links between them. The miracle of reification, is that sometimes the assemblage takes on a formal autonomy, and stands on its own when one removes the narrative crutches.

EM: I suppose these are the reasons why the Juke Joints recur regularly in your work. Juke Joints that function as places for recording, storing, or exhibiting.

AM: As I read musicians’ biographies, this nodal place where various traditions have converged seemed significant to me. I appropriated these rudimentary, legendary fantasy huts. As a place where everything is possible, they can receive the stories that I tell, they have imposed themselves, more or less degraded or deconstructed, in my landscape. Stage sets, devices as well as installations, they limit the exhibition space to more intimate dimensions more likely to reveal the various temporalities of the processes that I propose to activate: productions, recordings, performances, distribution… Building a juke joint is the opportunity to gather in a single time and place dedicated to an exhibition, projects which have often been developed outside the walls and the contingencies of the white cube.

EM: These “rudimentary huts” also partake in the aesthetics of what is temporary, which underlies all your work, notably in works that play with referenced forms by diverting them from their ordinary use, whether it be artistic or purely functional. I’m thinking of the pie pan in Dark Side of the Moon or of Dream Machine.

AM: That’s the way that I most often come up with a new piece. I accumulate lots of material (objects, sound, images, texts, material…) in my studio, my head or my hard disks. Already charged with history, the things that I encounter and that question me are first stored away. This decanting time is essential, and can last several years. I turn around them, look at them from different angles, and sometimes, one day, through formal or semantic analogies, or in the light of a new meeting, they connect, come together or pile up in a significant way, and they echo the legends that I drag behind me. And sometimes, nothing evolves, and in order to make some room, these elements go back to where I often found them, the trash can. And sometimes it doesn’t happen that way. For Dark Side of the Moon (2008), one of the examples that you mentioned, I was in my kitchen in a really altered state of consciousness, and an image of the work violently emerged from this old pie pan. One must remain watchful at all times.

EM: Your way of conceiving your works in a very low tech manner while at the same time using extremely contemporary means of distribution (video shows, sound or multimedia installations, light boxes…) creates a funny atmosphere, a paradoxical atmosphere. It was obvious in the exhibition What the Hell Happened to This Music? It looks as if you want to use all these means yet all the while you remain wary of their power of seduction or persuasion.

AM: I would define this atmosphere as peripheral. It deals with forms and means that are clearly identified in the history of visual imagery, but it remains on the outside of their zone of influence, in an intermediary semi-darkness. Because of the lack of means or of will, dazzled by the garish polluting of neon lights, it freezes into a sort of parodic mimicry that aimed at the light but that gave up on the way. The hyperbolic shooting misses the target and lands in this twilight space where orphan signs of more than fifty years of pop culture are stored, where they are wasting, rotting and in the end depositing like sediment. Then new forms can mutate and grow, from which sequels of an efficient past still emerge. This strategy, both voluntary and suffered, recalls the strategy around the works of Count Five, for those who know who they are.

EM: Can you tell us more about Count Five? For those who “don’t know who they are”.

AM: I mentioned the Count Five, but I might just as well have mentioned dozens of other groups with surrealist names: the 13th Floor Elevators, The Electric Prunes, The Shadow of Knight, The Chocolate Watchband, and many others. What these groups have in common is that they were born in the United States in the mid sixties after American youth violently rediscovered its musical inheritance (blues and primary rock’n’roll) through the dazzling success of the Beatles, the Rolling Stones, Animals and the like – a success denounced by the expression British Invasion. In short, these young Americans, most of whom barely knew how to play, rehearsed in their garage the pieces they heard on the radio or in the jukeboxes, with an often rudimentary equipment. They had neither the knowledge nor the technical conditions to imitate their models. With a formidable energy born from frustration, that led them to simplify their compositions as much as possible, they created a new style – garage rock (which ten years later would be called punk rock). I like to seek inspiration in this strategy of improvisation and recklessness : to be fascinated by a model, to be determined to try and imitate it, to make due with whatever one has and to tear along, to get lost on the way, to discover a new and unexpected form, to appropriate it and develop it.

EM: Your references often range from pop music, as you’ve just explained, to experimental music, from Elvis to La Monte Young, from the Beatles to Terry Riley. How does this going back and forth function within your own work?

AM: I don’t usually ask myself the question, the notion of refusing hierarchy prevails, rather than considering that all is equivalent. I seek for ideas, mental images or interrogations, in T.W.Adorno as well as in Dashiell Hammett, two contemporaries who nonetheless had diametrically opposed points of view, popular art being able to convey values. The process is a natural one, in my work, my choice of books, or on my home record player. Concerning experimental music, and especially repetitive music, it should be considered to be pop music. In my mind no intellectual manoeuvre is necessary before listening to this type of music, likely to justify its categorisation as scholarly music. Here, all that is at stake is being open minded enough to let your subconscious slide into a primitive and repetitive trance. The ancestral tunes that inspired this music all over the world are all festive or ceremonial.

EM: Apart from repetition, your works sometimes evoke amplification phenomena. I’m thinking for example of the Banshees.

AM: In the literal sense (amplifying images by the means of light going through slides or amplifying sound through various tubes, transistors and oscillators) as well as in the figurative sense (amplifying an anecdote or fantasy through narration), it is true that it is a recurring aspect in my proposals. The vehicle for this phenomenon is often the course of electricity, from the electric plug/source to the audience/receiver, and all the possible deviations on the way. The many cables punctuating my installations are the most obvious sign of this. They create the networks that allow amplified sound or light devices to function, and can also evoke the sometimes complex connecting systems that link my stories to one another. One thing can be said, the recurrent shadow hovering over these legends is that of the Electricity Fairy. She made most of these revolutions possible, and today, I cannot imagine conceiving an unplugged exhibition where she would not be invited. It wouldn’t be very urban. For the Banshee project, which is, on the contrary, urban in the literal sense, the boundaries of amplification are redrawn, through the magnitude of the hysteria.

EM: In what way do these “unlikely legends” and “shortened stories” of music as you call them above, interest you? Because of their evocative power? Or because of their “missed rendez-vous” side, or “recording mistake”, or even “non recordings” aspect?

AM: Three books really influenced me on the subject, “Unsung Heroes of Rock’n’roll” and “Where Dead Voices Gather” by Nick Toshes, and “Searching for Robert Johnson” by Peter Gulranick. When I think about it, paradoxically the grey areas of these biographies come back to me. These passages when the authors lose track of their subject, digress or simply admit to their ignorance. Two months, two years, twenty years, that simply hold out against historians and seem to have vanished from the course of time. Having made their way through representation and posterity, there are even musicians mentioned in Unsung Heroes of Rock’n’roll whose picture we don’t have, who have never recorded or whose recordings have been lost. They are the ghosts of oral tradition. I’m interested in the possibility of fantasising about the content of these gaps, and I amuse myself by filling them with what I imagine, and with what often only fits inside when forced to do so. I don’t really care about how true the stories that I talk about are, these huge gaps in global encyclopaedic knowledge are calling out to be filled with my most eccentric guesses. And besides, in the same way that a film preview is sometimes more interesting than the film that it is advertising, it can be best to imagine what would have happened if someone had pressed on “record”, rather than to do it – to scatter a few narrative clues and to see in what way they are discovered and organised by others. Also sometimes I don’t feel like playing minion, so the idea is then to stare at this past like a complicated and moth eaten needle-point work, to refuse to mend it and to cast one’s shadow like a forgotten motif.

EM: Aren’t you afraid that the works that you produce, even if they express an aesthetic preoccupation with tinkering and what is uncertain, might go against the grey areas that you mention, by creating a fetishist spirit quite the opposite from the oral tradition of the legend?

AM: I like to think that my works are not completely frozen, even if once they are sold it is true that it is technically difficult to go back on them or improve them if need be. Improvement obviously being a rather relative notion. Some of the devices, which come with a precise companion protocol, have to be reactivated each time they are shown, and then something surprising or unknown can happen (or not). Sometimes I also produce several proposals from the same anecdote or legend, often with various media, like different viewpoints on a single event, a story in the writing, a field that remains open. At the same time I’m increasingly interested in the directly narrative element of my proposals, either orally during guided tours, or in writing the notes that accompany the exhibitions. It’s a way of giving a second viewpoint on the piece, to retrace its genealogy in the body of my work, and to invite the viewer to dig into his own history, whether real or fantasised, in order to create personal links with what is before their eyes. Our merchant society of the spectacle having necessarily sharpened them, in a more or less insistent manner.

EM: It seems to me that it isn’t the “adaptable” aspect of your installations that enables you to go against the inevitable transformation of the object into a fetish, nor the narrative dimension of your texts (to which we will return later), but rather the content itself of some of the pieces. I’m thinking of In Elvis We Trust (the Dump) (2008), or Society of the Spectacle (Backstage) (2008), that both function as an image of the vanity of our time. The first one by using the name of Elvis on neon signs found in a banal Las Vegas dump. The second by reversing Velvet’s and Warhol’s famous banana, like a mirror to our illusions.

AM: Precisely, I think that these “images of the vanity of our time” and these “mirrors to our illusions” (I like the expression, I will re-use it) can only function if the audience appropriates them in a way, an appropriation that supposes, in my opinion, that an echo be created within each person by these stories. Without this feeling of déjà-vu, the mirror would have little to send back to us.

EM: I don’t feel like some of your pieces need a “narrative element” other than their own form. They are often self-sufficient. The Meeting Points or In Elvis We Trust say a lot about the end of illusion and false hopes. The Beatles or Elvis are contemporary myths that belong to the collective subconscious – whatever the country or social position. But to come back to these stories that are more and more important to you, how are they created? Your writing is very similar to Jean-Patrick Manchette’s, by its post-situationist style, full of nervousness and melancholy at the same time.

AM: “Voluptuous and philosophical women, I am talking to you”. Manchette concludes Fatale (1977) with these words, I don’t know why. I wish I could conclude an exhibition with as much class. Manchette is a sort of French, seventies version of Dashiell Hammett, I couldn’t possibly not like him. Thrillers (or hard boiled novels, to be precise), like garage rock, have strategies that I like to use for inspiration. It’s a popular literature, even called “airport novels”, which can be approached in various ways: adventure, seduction, suspense, but also violent social criticism and political comment. The author introduces his intentions by the means of a banal intrigue, which surreptitiously slips into the mire of contemporary society and thus reveals the collateral damage of class struggle. Hammett was considered to be one the greatest American writers until his books were expurgated from most of the libraries of the country during the McCarthy era. I am neither a theoretician nor an art critic, far from it, and I definitely do not wish to (nor could I do it) adopt their often well wrapped up prose. My texts are simple, dry, and they always use a narrative form. Amongst the elements that nourish me this is the most familiar form, and I find it coherent to use it also when commenting what I regurgitate. I give birth to the text while I am producing a piece, to talk about what I am trying to do, and to fix the ideas spinning inside my head. The text is then modified so the story can be told to others. I confess I have borrowed a few particularly forceful and brilliant phrases and expressions from Manchette, but perhaps he had also borrowed them from someone he admired. In the first half of his journal published last year, one learns a lot about his way of working in general (hyper-specialised documentation, compulsive cinema-going…) and of writing in particular (emergency producing, unavoidable behaviourism…) I must say that I recognised myself in this account. He comments on both the political disillusionment following 1968, and the decadence of American cinema, whose golden age he had venerated so much, all of this of course with a sense of humour and self-derision. “I pretend to show off”, he used to say.

EM: Speaking of the cinema, you have an ambivalent relationship with it, at the crossroads once again of disillusionment and wondering about its mode of production. I’m thinking of the movie Girls Are Weird (2006), which consists of a long tracking shot following the agitated body of a girl walking swiftly and visibly nervously through a car junkyard. In my opinion here we have a real study of the making of an image while asserting its obsolescence.

AM: This film is what’s left of an eponymous series of short videos produced very quickly. It was supposed to be an in progress collection of portraits of girls that would be a pretext for taking apart the movie form; images, sound, music and narrative devices were deconstructed and re-assembled topsy-turvy. In the end, I retained only this proposal, the first one to be produced. I think it speaks for itself. At the same time it is very referenced (the clothes, the hairdo and the setting) and mysterious enough (subjective camera, no reverse angle shots, no narrative clues or sound information) to evoke many of the possibilities I had in mind, while asserting in a definitive way a one and only thing: the projectionist did not do a good job re-framing, and he forgot to turn on the optical sound.

EM: You are particularly interested in Z movies, those where the makeshift aspects remain visible, where the means of production or the special effects are sometimes full of hiccups. It seems to me this brings us close again to the garage aesthetics that you described above.

AM: Let’s say that from Z to B, I am taking a breathtaking leap in reverse inside the alphabet. Z movies are like some art videos: we are glad to know they exist, and when people tell us about them, but they are terribly boring to watch from beginning to end. As I said above, the film preview suffices. Whoever has watched an entire Mexican wrestling movie knows what I’m talking about. The original idea, often completely surrealistic and brilliant, is very hard to carry through the length of a feature film. B movies are produced more carefully, and in spite of limited means, the writing is more elaborate and they try to rival with major productions. To me this brings them closer to a garage style. Always in an emergency situation, they aim higher. A B movie tries to transcend its condition, whereas a Z movie seems to wallow in it. Nonetheless Z and B movies have things in common, like the recurring use of stock shots, excerpts from cheap cover stories that sometimes influence the writing of the scenarios according to their orientation (animals, natural catastrophes, war, science…) Fictional scenes will then be used for a transition. The editors’ work is of capital importance, they have to be particularly inventive in order to make a coherent ensemble out of these disconnected forms. I like this sort of constraint. You have to be a virtuoso to make due with whatever means you have, while at the same time refusing to suffer from them.

EM: Concerning the visual side, there is a paradox in your work. You are just as attracted by suburban imagery - like these ordinary buildings that we see on the outskirts of most cities - as you are by exotic, slightly acid looking shots. What is the link between these two seemingly opposite worlds?

AM: I use different bodies of images, and often they come to me in the shape of found footage (at a flea market or in a family attic), or of stock shots (when I buy specific books or do a precise research on the Internet). These images which intrigue me for various reasons (their incongruity, or on the contrary their tragic ordinariness) are stored at first, until they echo other elements: books, music, sound, objects… I think the two bodies of work that you mention have at least two things in common: first of all the medium, a post card, and then the acknowledgement of failure that this medium entails – failure to artificially recreate the lost paradise of the isles of the south Pacific, and failure to save the architectural inheritance often destroyed by a war (when one immortalises this sort of construction, it means that there is really nothing else to reveal). These postcards would like to show us something that no longer exists. On the glossy paper a visual image appears by default, in one case a reconstruction, in the other case a makeshift solution.

EM: Your exhibition at the Villa Arson revealed a taste for the psychedelic culture. What interests you here? The psychedelic is a somewhat complex and hazy notion.

AM: For the most part, the psychedelic came to me more than I went towards it, and offered images that I had to remember the next morning. I see it as the elusive memory of a vaster field of possibilities, the precise moment in a mental space where the aggregated forms that I produce can be structured even more freely, because they are rid of some of the contingencies that I impose upon myself, albeit subconsciously. So that’s my personal definition. Concerning historically identified signs, I choose them amongst a palette of forms from the past in order to evoke sadness, and the spleen of promises that are broken once you have regained complete consciousness. If I were to retain two parameters from the psychedelic culture, I think it would be: 1/ the freedom in apprehending time 2/its musical use of effects (delay, reverse, reverb, echo…), and how these can be reinterpreted as the grammar for an exhibition.

EM: One of the pieces in your show at the Villa Arson was made of hallucinogenic plants gathered in a sort of subterranean hothouse, as if it were a clandestine laboratory for producing some psychoactive product. This installation (Mind Garden, 2008) also functioned as an echo to psychedelic culture, notably because of its soundtrack, a musical score by Vincent Epplay. Can you tell us what the link was between the plants, the sound, and the installation itself?

AM: Many records destined to be played for plants have been produced. Japanese professor Ken Hashimoto, “doctor in philosophy and science”, even managed to establish a “dialogue” with his cactus through music, a unique experiment to this day, which he did after having previously taught it to count up to ten! In Mind Garden, the plants were listening to a psychedelically inspired soundtrack. Built from three monophonic non-synchronous sources, this unstable sonic form spontaneously and unexpectedly created itself at all times. The plants did not particularly seem to like it. To my knowledge none of them learned how to count. On the other hand we were able to conclude that too big a dose of psychedelic elements seems to be bad for their health, because most of the plants, ruefully sitting in the polluted air of a confined space, withered, wasted away, and died. In the end, beneath the artificial sun of the crushing sodium, the exhibition looked like a dry and sickly utopia in autumn. Looking back, I don’t really know what it was we tried to prove in devising this experiment – nothing precisely defined, I think. It was probably an experiment, in the meaning that Jacques-Alain Léger ascribed to the word in 1997 when he evoked his hippie years in My life (Temporary Title): “Experiments was the word we used with laughable seriousness to describe this more or less rational craziness.”

EM: Along with psychedelic culture, you are interested in surfing and its culture. In what way is this a referential universe for you, knowing that you are neither a passionate surfer, nor even an erudite amateur of the genre?

AM: First of all, you have absolutely no right to pass any kind of judgement on my surfing level, which, in everyone’s opinion, is much less awful than it could be or than it used to be. Secondly, I don’t think I’m really interested in surfing in the sense of being particularly focused on this niche of popular culture. In reality it is when I collaborate with Oliver Millagou that I run into a world that he is passionate about, but for me it is only a pretext for questioning the cinematic form once again, like I did in Surf Now Apocalypse Later (((redux))) (2008). The narration, the images, the sound atmosphere and the music, everything in this lo-fi surf movie is deconstructed and stowed away in its specific box. The usual rules of this genre (spectacular images, demonstrative music, quick editing, exotic landscapes…) are not allowed here, as if they were obsolete or inappropriate to what we are trying to relate. This adventure, which led objects from an exhibition (the surfboards produced by Olivier) to return to the ocean, is a Polaroid sequential narrative; a machine generating situations, meetings and collaborations (Gibus de Soultrait for the text and WarmBaby for the music); four ways of accounting for what part of reality can be recorded; a surf movie without surfing ; an atmospheric road movie in the spirit of Grand Film, the fantasy of the Merry Pranksters about art, life and how to make everyone feel it all.

EM: You often collaborate with other artists, architects, writers, musicians. Your exhibition at the Villa Arson was at the same time a solo and a group show. You also belong to several rock bands (ALPHA-60, Beauty & the Beat, the Groovers…), and you created a clearly forerunning record label (Les Disques en Rotin Réunis (United Rattan Records)). How do you go from one status to another, from one collaborative production to another?

AM: I think the motivation for these different activities is in refusing to be a mere member of the audience. This refusal inevitably means provoking the situations that I wish to experiment myself. The goal is simple: to feed your own libido, so as to project true personal desires, and not to answer the stimuli of desires that people want us to think are ours, and that are solely generic and disembodied. Maybe out of fear of what I would be discovering in these unknown regions, I dragged a few associates into the adventure, so as to improvise together solutions to new problems. In this context meetings are or the utmost importance. Sometimes a work of art brings you towards a person. Sometimes it happens the other way around. Sometimes I retain an element that interests me, and that has a meaning in the context of my research. Sometimes, it is a collaborative creation and things are born from several different hands. In my shows I like to use elements from other people’s works. I also like to participate in someone else’s project, for example in producing the original soundtracks of an exhibition, like you would for a fictional story. In either one of these situations, the stage director must be clearly designated from the start. A single vision must define the main direction of the proceedings, and the protagonists must know who the captain is on the boat they are embarking on. Once the project is afoot, the main idea must not be diluted by too much democracy, and any sign of mutiny is severely repressed – as well as any kind of simulacrum.

An allusion to Guy Debord’s book Society of the Spectacle  (translator’s note).
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