Natacha LESUEUR 

LIKE MIRROR

Text de
Brice Dellsperger/Natacha Lesueur
Exposition au Transpalette
Du 29 mars au 11 mai 2013


Bien que proches depuis des années, bien que travaillant sur des thèmes parallèles, Brice Dellsperger et Natacha Lesueur n'avaient jamais exposés ensemble. Ce sera chose faite avec Like Mirror, vaste installation ou les vidéos de l'un répondent aux films de l'autre. Plus qu'un simple dialogue, il faut percevoir cette exposition comme un labyrinthe, une mise sous tension de préoccupations esthétiques qui d'un écran à l'autre crée des passerelles, des ouvertures. Tous deux ont en commun d'interroger les lieux communs liés à la représentation. Chez Brice Dellsperger, cette interrogation passe par une mise en abîme du cinéma, plus exactement de certaines scènes emblématiques qu'il rejoue ou refait jouer par des acteurs non professionnels. Regroupés sous le titre générique Body Double, ces vidéos mettent en crise, sur un mode grotesque, les différents genres qui existent aujourd'hui au cinéma. Dans ces vidéos, il questionne évidemment les genres, démontrant au passage l'arbitraire des représentations sexuelles. Mais au-delà de ce jeu avec le corps humain soudain mis en crise, c'est évidemment tous les codes de représentation qu'il décrypte avec un cynisme joyeux. Car, il y a évidemment chez cet artiste l'idée que le cinéma est à la fois le lieu de libération des modes de représentation mais aussi une gigantesque machine pour imposer des modèles de comportement. Les œuvres de Brice Dellsperger ont pour horizon l'industrie cinématographique qui oscille sans cesse entre l'apologie de modèles régressifs (dans le cinéma hollywoodien notamment) et l'ouverture vers des types de représentation autres (surtout dans le cinéma d'avant-garde). A cela il oppose le grotesque, l'outrance, le rire comme mode de libération, comme possibilité de creuser l'image électronique de la vidéo. Comme de rares artistes, il prend en compte le désenchantement et la mélancolie moderne que porte la société face aux artifices de la culture contemporaine. Pour Like Mirror, le Transpalette a produit deux nouveaux films de Brice Dellsperger – Body Double n°28 et Body Bouble n°29. Dans le premier qui prend pour décor le site industriel de la Friche l'Antre-peaux, il rejoue l'une des scènes inaugurales du pilote de 2 flics à Miami. Le second film lui permet de poursuivre le dialogue imaginé pour l'exposition Like Mirror en invitant Natacha Lesueur à jouer à ses cotés. Dans cette scène reprise de Bon baiser d'Hollywood où une star n'a que faire de sa doublure, Brice Dellsperger et Natacha Lesueur jouent à tour de rôle les deux personnages, introduisant ainsi un décalage étrange entre les deux versions.

De son côté, Natacha Lesueur ne cesse d'interroger l'identité à travers la représentation photographique ou plus récemment dans des vidéos. En  ce sens, elle appartient à ce courant apparu dans les années 1990 qui voulait que l'image se devait d'être réactualisée à partir de procédures spécifiques. En effectuant un travail de mise en scène sophistiquée, en réactivant des figures exemplaires (ici Carmen Miranda, actrice sulfureuse des années 1950) de l'histoire sombre d'Hollywood, elle démontre tout l'arbitraire des codes de figuration contemporains. Mais, au-delà de cette logique décryptant la manière dont s'écrit l'histoire, c'est évidemment le langage même de l'image qu'elle tente de réinventer. Que ce soit dans ses anciennes photographies ou ses vidéos récentes, elle affiche une ambition rare : répondre au flux des images contemporaines par des images. Comme chez Brice Dellsperger, elle imagine que l'image peut encore porter quelque chose en elle, qu'elle peut encore ouvrir sur des représentations d'autant plus inédites qu'elles répondent directement aux codes qui nous inondent et contaminent notre imaginaire.

En regroupant leurs travaux respectifs, en jouant volontairement avec les attentes du spectateur, les deux artistes produisent ici une réflexion redoutablement précise sur l'arbitraire des représentations contemporaines notamment lorsqu'elles traitent de l'opposition masculin/féminin. Mais cette exposition doit aussi se lire comme une adresse, presque une mise en demeure. L'image ne vaut la peine d'être vue que si elle devient un facteur d'expérience inédit qui en retour nous ouvre sur l'altérité. Pour cela, il convenait de décortiquer les différents registres de l'image fiction. Ce que font à merveille ces deux artistes sur un mode qui oscille entre la distance critique et le burlesque.

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