Sandra LECOQ 

Une jeune femme indifférente aux bourrasques, sa petite robe de coton détrempée et collée au corps, chemine par les flaques, ses chaussures à la main; elle avance toute droite et ramène en arrière ses cheveux en désordre d’un beau geste du bras.
Sandra D.Lecoq, vous me copierez cent fois : une cigarette de haschisch et des bas blanc-rose, rose-beige, rose-lido, bleu-pale, sont les bandelettes de ces momies aux fines ceintures d’or.
Traces de ses lèvres à la surface d’un miroir que révèle un jet d’acide, ombres phalliques s’allongeant vers le soir, mises en scène comme une mise à nu de la mariée, héroïne d’une seule nuit... Même longue mèche sombre tombant sur l’objectif de la caméra, plus plongeant dés lors son regard passionné de la mer de chine aux rives de la Méditerranée. Sitôt vu, sitôt filmé, et envoyé franco de port jusqu’au regard d’un autre qui toujours en rajoute. C’est la cadence du cadavre exquis comme celle du patchwork.
Tout imaginaire est animé par des figures qui agissent comme des référents dans l’ordre du symbolique. Celles qui traversent l’imaginaire de Sandra D.Lecoq, qui le portent et qui conditionnent sa pratique artistique, sont des figures de la féminité.
Sandra D.Lecoq, si vous voulez réaliser un picot, laissez une boucle avant de tirer sur la navette. Si vous voulez une partie plate, ne gainez en noeud de feston que le haut de la boucle. Le montage en franges ne sera jamais qu’une variante du montage à tete d’alouette. Quand à la frivolité, rétorquez qu’elle ne peut être qu’un ouvrage composé du bout des doigts avec cet air justement de ne pas y toucher.
Le pouce et l’index crispés sur l’aiguille, prête à en découdre, elle trace, amusée et grave, les lignes sinueuses d’une posture difficilement saisissable. Et douce et amère, tout à la fois allusive et autoritaire, féminine sûrement.
De tissu, lignes et couleurs combinent pareillement du motif: fils d’or et paillettes sur velours, fleurs mêlées aux portraits de dictateurs défunts,foulards et voiles importés. Grand déballage ou se confondent jersey, damas et pékin, toile de coton chinée, imprimés écossais ou africains, dentelles d’Oujda et de Mirecourt.
coupons et chiffons, fragments collectés, sont patiemment tressés, noués, mis en nattes. Dissimulent dans leurs plis des bouts du monde. n’en reste qu’un soupir tant les noeuds sont serrés.
Raide et sans appel, fuyant droite, Sandra D.lecoq couvre de ses tresses les plinthes d’interieurs familiers. On songe alors à la pudibonderie victorienne qui couvrait de housses jusqu’aux jambes des pianos, mais ici l’habillage, rehaut coloré, révèle plus qu’il ne cache : les plaintes.
D’autres fois, les nattes sont si longues, qu’inlassablement, elle les enroule sur elles mêmes. Courbes, volutes, spirales y dessinent des formes phalliques tapies sur le sol.
Ombres colorées et portées, lignes droites, courbes, sinueuses, traces de ses lèvres ajoutant du motif. Et la couleur toujours présente. Autant d’indices qui réveillent ce désir de peinture, avec ce désir impossible et fou d’en revenir un jour.
Soupir.
Murs blancs, lumière diffuse, blancheur immaculée des cloisons coulissantes jusque sur l’encoignure...
Les pièces présentées à la Villa Arson, dans le long couloir de la galerie des cyprès, sont extraites de la série penis Carpets : quand les tresses de tissu, t’en souvient-il, sur elles-mêmes débordent en phallus suggestifs.
Ce sont des tableaux qu’à nos pieds il faut voir posés, juste déroulés. Leur présence marque comme une géographie du pas si tendre. L’Africaine, La Fourreuse Heureuses, figures revêches, délimitent des frontières dans l’imaginaire de Sandra D.Lecoq, puisqu’il en est des noms de personnes comme des noms de pays. la Bebère, aux couleurs nationales, cocarde à fouler du regard les soirs de révolutions domestiques. Promeneur, on y tourne autours comme l’amoureux dit-on après les demoiselles. Les pieds claquent. Farid al-Atrache chante toujours sa naissance malheureuse, les gens achètent du pain, des fruits et des légumes, des tableaux aussi. La Goulue, elle, reposes au cimetière, indifférente sûrement.

Karim Ghelloussi
Montretout-La-Choquette, novembre 2002, in catalogue Sandra D. Lecoq, Villa Arson, Nice, 2002

Penis Carpet 6 "La fourreuse heureuse" 2002
Tissus tressés, 730 x 245 cm

Penis Carpet 1 2001
Tissus tressés, 160 x 330 cm

Penis Carpet 2 2001
Tissus tressés, 220 x 420 cm

Penis Carpet 3 "L'Africaine" 2001
Tissus tressés, 280 x 580 cm

Penis Carpet 4 "Yellow" 2001-2002
Tissus tressés, 230 x 380 cm

Penis Carpet 5 "La BBR" 2002
Tissus tressés, 290 x 270 cm
Vues de l'exposition Sandra D. Lecoq, Villa Arson, Nice, 2002
Photographies Jean Brasile
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