Jean-Baptiste JANISSET 

À l’affut des indices iconographiques de la grande Histoire qui peuplent les bâtiments, Jean-Baptiste Janisset explore la mémoire collective des territoires à travers des moulages à l’esthétique tapageuse. Au 63e Salon de Montrouge il présente une série d’œuvres illustrant le lien entre monarchie et chrétienté dans l’histoire de France, un thème qui sonne étrangement d’actualité à l’heure où le président de la République prend des allures de monarque et entend « réparer le lien » entre l’Eglise catholique et l’Etat…
Né tout juste dix ans avant le tournant du millénaire, Jean-Baptiste Janisset s’est d’abord intéressé au passé colonial de la France, traquant dans les villes les images témoignant de celui-ci—chapiteaux, mascarons, blasons ou bas-reliefs—et en dérobant les empreintes. Fervent voyageur, il documente aussi les terrains et les cultures qu’il découvre, relève et conserve des traces de moments vécus, comme ces os de mouton moulés dans le plomb, souvenirs de la célébration de l’Aïd El-Kébir à laquelle il assista en Algérie. Second lauréat du concours La Convocation en 2017, il effectue l’été dernier une résidence en Corse qui l’éloigne du post-colonialisme qui jusque là imprégnait sa pratique et renouvelle son répertoire iconographique en orientant son travail vers la tradition catholique de la région.
L’ensemble d’œuvres qu’il présente à Montrouge prolongent cette exploration de l’histoire médiévale française, entremêlant religion, guerre et pouvoir. Sur les murs de son stand s’étend un vaste patchwork de feuilles de plomb fleurdelisées, dont chacune semble rongée par le temps et arrachée à quelque tapisserie plus vaste. Au cœur du métal se révèlent de multiples irisations, aussi fascinantes et inquiétantes que celles qui se forment à la surface des flaques d’essences. Souple et toxique, utilisé pour ses qualités plastiques autant que symboliques, le plomb incarne pour l’artiste « le poids de l’histoire parfois douloureuse de la France ».
Prélevé sur l’église Saint-Vincent-de-Paul à Marseille, le moulage en plâtre d’une Jeanne d’Arc à cheval, peint au revers d’un rose fluo, prend sa place conquérante au sein du tissu de l’histoire monarchique de la France que la tapisserie métallisée déroule par métonymie. Contre celle-ci se dresse également une sculpture totémique hybridant des motifs tirés de la porte du Parlement de Dijon. Ainsi apposé contre le symbole du pouvoir, L*Apache parait défier l’autorité et joue sur une ambivalence sémantique : en vieux français un « apache » désigne aussi bien un petit truand qu’un représentant du peuple amérindien du même nom.
Loin d’être des « daguerréotypes de la sculpture » comme les appelait Delacroix, les moulages de Jean-Baptiste Janisset ne cherchent pas à imiter fidèlement les originaux. A l’ère où les outils numériques lui permettrait de parfaites reproductions, il préfère user de matériaux malléables et peu pérennes—le plâtre, l’argile ou les métaux ductiles—pour créer des mues épaisses, grossières, parfois grotesques, à la manière de l’angelot-guerrier bleuté à l’esthétique radicalement kitsch qui complète le stand de l’artiste. Le visage difforme, dénué de membres, emmailloté dans une armure fleurdelisée, coiffé d’un casque ailé, arborant une médaille militaire et auréolé d’une guirlande de LED verte, il semble tourner en dérision une forme de prosélytisme guerrier et étatique…
Les collages en trois dimensions de Jean-Baptiste Janisset réactivent les images du passé, dans un langage visuel singulier, empreint à la fois d’une certaine pompe et d’un délabrement presque repoussant, comme les lambeaux clinquants de l’histoire.

Clara Muller

 
Amen ôôôôôôôôô Béni
plomb / cuive, plâtre / led
63e Salon Montrouge, 2018
 
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