Olivier GROSSETÊTE 

Conversation avec Olivier Grossetète (6 sept 2007)
L’art comme passage à l’acte.

-Est-ce que ta définition de l’art a changé au fil des années ?
-Quand j’avais une dizaine d’année l’art pour moi c’était les églises et la peinture d’église. Sans aucun lien avec ça j’aimais dessiner et je dessinais beaucoup, des personnages, des bateaux, des histoires, des B.D… Puis j’ai fait pas mal de sport dans mon adolescence et, par indiscipline, je me suis retrouvé en B.E.P. de micro-mécanique. Au début j’avais horreur de ça et puis j’ai acquis une logique pratique, je sais me servir des outils… Par ailleurs j’ai eu un grand père très bricoleur, il y a eu sans doute une influence de ce côté-là. L’électrochoc s’est passé lors de mon stage en entreprise, j’avais 15 ou 16 ans, je me suis aperçu que je ne voulais pas passer ma vie à m’emmerder de cette façon… Comme j’avais un copain qui faisait de la batterie, je me suis demandé quel était mon truc à moi. Ma réponse a été le dessin. J’ai pris des cours de nu dans le but d’entrer aux Arts déco. À ce moment-là l’art pour moi c’était les dessins de Rembrandt,, j’aime encore beaucoup le dessin d’observation. Je suis entré aux Beaux Arts et là j’ai découvert l’histoire de l’art, Duchamp et j’ai eu d’autres définition de l’art… J’aime beaucoup Picabia, il disait que l’artiste est un amateur, quelqu’un qui aime faire les choses, j’aime beaucoup cette définition.
- Qu’est-ce qui s’est passé aux Beaux Arts pour toi ?
- Je me suis trouvé confronté au concept et j’ai trouvé ça pesant. Toujours devoir justifier pourquoi on faisait les choses alors qu’il y a d’abord le désir… Le côté positif du concept c’était l’analyse, la dimension politique et éthique de l’art… Une des choses importantes pour moi a été un voyage en Dordogne, pour visiter les grottes avec les peintures paléolithiques. J’ai été bouleversé… Ce sont des cathédrales… Les lieux saints m’impressionnent beaucoup même si je ne suis pas baptisé…
- Est-ce que l’art est une forme de religion pour toi ?
-Il y a l’histoire et puis il y a le désir… Plus, bien sûr, toutes les contraintes : le marché, la mode, les institutions… Mon truc, c’est de donner corps à mon espace imaginaire et qu’il vienne influencer le réel. D’une certaine façon c’est revenir vers l’enfance mais en développant une certaine justesse…
Je fais de l’escalade, c’est un plaisir personnel sans aucune influence sur le monde, alors que, dans l’art, on s’adresse aux autres et il y a forcément un côté éthique et moral. Je pense qu’on ne doit pas envahir les gens avec des problèmes de mal de vivre personnels.
- C’est pourtant ce qui se passe aujourd’hui chez beaucoup d’artistes.
- Hélas oui, c’est une épidémie. On est artiste parce qu’on a besoin d’être aimé, c’est entendu, mais ça suffit… L’art n’est pas une thérapie, il faut se débarasser des choses personnelles parce que ça n’intéresse pas les autres. Le singulier n’est intéressant que lorsqu’il parle de l’universel. Dans l’art, on doit parler des autres et aux autres, l’art doit avoir et à voir avec l’universel. Ce qui est beau c’est l’ouverture.
- Quelle est, pour toi, ta première oeuvre importante ?
- Ce qui a déclenché beaucoup de choses pour moi a été « C’est du travail » réalisé en 1997, en fin de quatrième année. C’était ma réponse à la sempiternelle question : quel est ton travail ? Par cette phrase performative : C’est du travail, je suis passé de la feuille de papier, qui est un espace de projection, à un autre espace, par la multiplication, celui du volume en relation avec le corps. C’était un changement de dimension. Quand j’ai déposé dans de grands sacs, devant la recette des impôts, les 6000 feuilles réalisées,  j’ai traduit le concept en acte. Une sorte de passage à l’acte. Ce qui me plaisait aussi c’est que la déposition c’est aussi enlever de l’autorité à …
- Tu as toujours eu des problèmes avec l’autorité ?
- Oui, des rapports conflictuels avec ce qui représente l’autorité… J’avais trois mois quand mes parents ont divorcé, je suppose qu’il y a là une empreinte… Dans mon travail, cela se voit par exemple avec les grandes architectures de carton, en dérision des bâtiments du pouvoir, et avec ma façon de transformer les P.V. impayés en  papillon, en poulet, en fleur d’amandier, en avions… 
- Tu parles de la bienveillance en art…
- Oui, dans les peintures des grottes ce qui est étonnant c’est la bienveillance, une forme de douceur alliée à la force. Ce n’est pas mièvre, ce n’est pas anodin. Dans cette bienveillance, il y a, à la fois, la violence de la confrontation au réel mais aussi la douceur et la générosité. À l’opposé du cynisme et de l’aigreur qu’on rencontre souvent aujourd’hui dans l’art.… C’est très important pour moi. Je me souviens avoir vu dans la même journée le retable d’Issenheim de Grunewald et des œuvres contemporaines en pensant qu’il y avait une forme de générosité qui s’était perdue. Je pense aussi que l’art a beaucoup à voir avec le temps, aujourd’hui on est dans l’instantané… Mais si c’est une bonne œuvre, on prend plaisir à échanger du temps avec elle. Dans l’idéal, on doit même pouvoir raconter une œuvre dans un autre temps que celui de sa présence. Dans ma vidéo « L’une des librations », on voit la lune se lever au-dessus de l’horizon, avec mon amie Valérie qui l’accompagne. La vidéo dure 23 minutes, soit le temps réel que met la lune à échapper aux mains de Valérie…

Propos recueillis par Jean-Louis Marcos

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