Isabelle GIOVACCHINI 

Aurore 541 2015
Tirages positifs de photogrammes de roses des sables, 24 x 30 cm
Série réalisée avec le soutien du MAMAC et de la ville de Nice
Vue de l'exposition Le Précieux pouvoir des pierres, musée d'Art Moderne et d'Art Contemporain, Nice, 2016
Down 541 2015
Positive prints of sand roses photograms, 20 x 30 cm
 
 

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Après avoir disposé, de façon plus ou moins hasardeuse car dans le noir, des roses des sables sur du papier photo argentique, j’ai éclairé avec des lampes directionnelles ces assemblages de façon à obtenir des empreintes d’ombres portées. La série de photographies composant Aurore 541 est faite des négatifs sur papier baryté de ces photogrammes. Son titre fait référence à l’aphorisme de Friedrich Nietzsche suivant :

« Comment il faut se pétrifier.
— Devenir dur, lentement, lentement, comme une pierre précieuse —
et finalement demeurer là tranquillement, pour la joie de l’éternité. »
Friedrich Nietzsche, Aurore. Réflexion sur les préjugés moraux (1881), aphorisme 541.

Cette série s’inspire également d’un extrait de L’Art de marcher, de Rebecca Solnit (2000) :

« En cette fin d'après-midi, même les fissures creusées dans le sol projetaient de longues ombres aiguës, tandis qu’une ombre de gratte-ciel s'étendait loin devant la camionnette de Pat. Nos ombres à nous se déplaçaient sur le côté, à droite, et elles devenaient de plus en plus longues, d'une longueur que je ne leur avais jamais vue. Je lui demandai quelle pouvait bien être leur taille, à son avis. Il me dit de ne plus bouger pour qu'il compte les pas de la mienne jusqu'au bout. Je me plaçai face à l'est, face à mon ombre, tournée vers les montagnes les plus proches que les ombres étiraient toutes du même côté, et Pat se mit en marche.
Je restai seule, face à mon ombre qui dessinait une longue route sur laquelle il avançait. Dans cet air transparent, j'avais l'impression, non qu'il s’éloignait, mais rapetissait. Quand sa silhouette tint entre mon pouce et mon index serrés à presque se toucher et que son ombre se fut allongée jusqu'au pied des montagnes, il avait atteint l'ombre de ma tête, mais à l'instant où il y arrivait, le soleil, soudain, glissa sous l'horizon. Aussitôt, le monde changea. La plaine perdit ses ors, le bleu des montagnes s'assombrit, nos ombres si nettes se brouillèrent. Je le hélai pour qu'il s'arrête à la flaque sombre, vague à présent, produite par ma tête, et quand j'eus à mon tour couvert la distance qui nous séparait il me dit qu'il avait compté une bonne centaine de pas mais qu'au fur et à mesure de son avancée il avait eu de plus en plus de mal à distinguer ce qui constituait mon ombre. Nous regagnâmes la camionnette. La nuit approchait, l'expérience prenait fin. Où avait-elle commencé ? »




« Aurore 541 d’Isabelle Giovacchini semble donner à voir l’apparition de phénomènes fantomatiques. Ces formes étranges et mystérieuses sont le résultat d’une expérience photographique réalisée à partir de photogrammes des roses des sables retravaillés en positif de façon à figer les facettes et les jeux d’ombres portées de cette roche évaporite. Entre apparition et disparition, les photogrammes renversés de ces roches cristallisées renvoient à un aphorisme de Nietzsche sur la pétrification et la mort. L’étrange fossilisation est évoquée tant par le procédé photographique que par la nature de cette roche, née de l’évaporation des eaux infiltrées. Les formes qui apparaissent sur la surface du papier rappellent à la mémoire les enchevêtrements incendiaires à 451 degrés, température à laquelle s’enflamme et se consume, dans le roman de Ray Bradbury, Fahrenheit 451 (1953). »

Malek Abbou,
Le Précieux pouvoir des pierres, catalogue d’exposition, Ed. Silvana, 2016
 
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