L'Esprit du lieu est un projet prenant pour cadre le lac de Nemi, situé dans la campagne romaine. Véritable curiosité archéologique, berceau du culte de la déesse Diane, ce site est connu pour avoir abrité deux immenses galères antiques ayant appartenu à Caligula et coulées sur place après sa mort. Pour les retrouver, une spectaculaire campagne de fouilles archéologiques fut organisée entre-deux-guerres. Le lac fut vidé, à l'aide d'un système de pompes mises au point par Guido Ucelli, un ingénieur hydrologue. Les deux navires, retrouvés dans un état de conservation exceptionnel, furent exposés avec d'autres vestiges dans un musée dédié, construit sur le rivage.
Avec son architecture totalitaire, le Museo delle Navi Romane fut aussi bien un lieu prisé des touristes qu'un élément de propagande nationaliste. Son moment de gloire ne dura pas, puisqu'il fut incendié en 1944, après avoir été réquisitionné pour abriter des réfugiés durant la Seconde guerre mondiale. Préservés près de deux mille ans par les eaux du lac de Nemi, les navires disparurent en quelques jours.
Depuis, le musée a été restauré pour présenter des maquettes et des reconstitutions partielles. La majeure partie de son infrastructure (étage, toit) reste fermée au public, faute de moyens et de visiteurs. Le reste de l'histoire des galères de Caligula n'existe plus désormais que sous forme de légendes fantomatiques, mais surtout d'archives, essentiellement photographiques, réalisées au moment des fouilles.
L'Esprit du lieu me mène à travailler à partir de ces archives iconographiques. Elles sont conservées à Milan, au Museo Nazionale della Scienza et della Tecnologia Leonardo da Vinci, fondé après-guerre par Guido Ucelli, et sont mises gracieusement à ma disposition pour que j'en propose un contrepoint artistique. Avec mon projet, je souhaite les extrapoler aux moyens de la photographie et de l'édition afin de restituer la dimension spectrale, occulte et sulfureuse de l'histoire du lac de Nemi, son genius loci.
Je me suis déjà rendue à Milan en mars 2021 et j'ai ainsi pu reproduire une partie des images entreposées au Museo Leonardo da Vinci, soit en très haute résolution (scans des tirages d'époque), soit en les interprétant de façon expérimentale. J'ai par exemple reproduit les positifs sur verre de la documentation de Guido Ucelli à travers une loupe placée devant l'objectif de mon appareil photographique, en tirant parti des déformations et aberrations chromatiques de mon procédé de façon à isoler certains détails imperceptibles à l'œil nu.
En été 2020 et 2021, j'ai eu la chance d'être résidente à la Villa Médicis. J'ai pu consulter la vaste documentation de l'École Française de Rome. Je me suis rendue au Musée National Romain où sont exposés les quelques éléments en bronze des galères qui, en ayant été déplacés dans les réserves de la capitale italienne au début de la Seconde Guerre mondiale, ont échappé aux flammes. J'ai également été à Nemi, où j'étais invitée à assister à une campagne de fouilles du lac, co-organisée par l'École Française de Rome et l'Université de Haïfa. Bien que ces fouilles soient éloignées de mon sujet, elles m'ont permis d'avoir une meilleure connaissance du site, d'accéder à des zones habituellement inaccessibles et d'effectuer enregistrements et prises de vues. Je les utilise comme une base de données pour différentes expérimentations (Tornade, temps calme par exemple). J'ai également pu effectuer des repérages au Museo delle navi romane, notamment les parties fermées au public.
Je séjournerai une dernière fois à Milan, fin 2021, afin de compléter mes numérisations. Je prévois un temps de tri des archives et documents réunis ces deux dernières années, pour procéder à leur réalisation et une restitution de l'ensemble obtenu, sous forme d'édition et d'exposition thématique.
L'Esprit du lieu bénéficie du soutien de la Villa Médicis (Rome, programme de résidence 2020), du Museo Nazionale della Scienza e della Tecnologia Leonardo da Vinci (Milan, mise à disposition des archives du musée), du Centre Photographique d'Ile-de-France (Pontault-Combault, résidence de recherche et de production), des Amis du National Museum of Women in the Arts (Washington, dotation financière), ainsi que de l’Institut Français (programme « Résidences sur Mesure Plus+ ».
L'Esprit du lieu is a research and creation project around the lake of Nemi.
This Italian site is an archaeological curiosity, known for having been the shelter of two Caligula’s ships, found during spectacular excavations between WWI and WWII. Exposed for a few years, they burned in 1944 during the fire of their museum.
They have now disappeared, but survive in images and documents, thanks to the archives kept at the Leonardo da Vinci Museum in Milan. Some of the miraculous copper pieces are showed at the Roman National Museum. In Nemi, the museum has been restored to show models, and the lake is still being excavated. I will participate in the next ones, planned for the end of 2021, at the invitation of the French School of Rome.
With this project, I wish to valorize these funds, resources and research in situ, to offer an artistic point of view, by photographic experiments.
A thematic exhibition and an edition will show the results of those researches.
L'Esprit du lieu is supported by the Villa Medicis (Rome, 2020 residency program), the Museo Nazionale della Scienza e della Tecnologia Leonardo da Vinci (Milan, museum archives), the Centre Photographique d'Ile-de-France (Pontault-Combault, research and production residency), the Friends of the National Museum of Women in the Arts (Washington, D.C., financial grant) and the French Institute (Institut Français) with its mobility programme « Résidences sur Mesure Plus+ »
L'Esprit du lieu - Ouverture 2021
Tirage jet d'encre pigmentaire sur papier Hahnemuhle Photorag, 85 x 110 cm
Le Miroir de Diane 2020
Carte postale argentique représentant le lac de Nemi, non datée et altérée par le temps, 8,6 x 13,5 cm, sous passe partout 30 x 40 cm
Au tout début de mes recherches sur Nemi, j'ai découvert cette carte postale sur Ebay. Oxydée, sa surface argentique avait pris avec le temps des airs de miroir en fonction de son inclinaison, comme un hommage au surnom du lac.
Elle n'est pas datée. Aussi, il est impossible de savoir si elle a été réalisée avant ou après les fouilles de 1928 - 1932, et donc si les navires de Caligula sont encore au fond du lac, et donc présents de façon latente au sein de l'image.
J'ai simplement encadré cette carte, sorte de ready made qui n'attendait que d'être découvert. J'ai décidé qu'elle ferait office de pièce inaugurale de L'Esprit du lieu.
Ancore 2020
Tirage numérique sur papier Hahnemuhle,
transpercé et épinglé sur toile, 18 x 24 x 3 cm
Lorsque j'ai découvert la photographie ci-dessus, mise en regard d'un plan indiquant la localisation des navires dans le lac, le tout reproduit en double page dans le livre Le Navi di Nemi de Guido Ucelli, j'ai été interpellée par le système mis en place durant les fouilles pour repérer les navires hors de l'eau, avant l'évacuation de celle-ci. C'était comme si les plongeurs avaient transpercé la surface trouble de site pour révéler ce qu'il contenait en latence.
J'ai imprimé un détail de cette image et l'ai transpercée d'épingles au niveau des points d'ancrage. L'ensemble est maintenu, grâce à ces mêmes épingles, sur un châssis entoilé.
"Ancore" signifie "ancres" en italien.
Caligula 2021
Tirage jet d'encre pigmentaire sur papier Hahnemuhle Photorag, 30 x 43,5 cm
Études d'un culte 2020
Série de 10 tirages argentiques de tailles variables sous passe partout 30 x 40 cm
Parmi les vestiges retrouvés dans le lac et reproduits dans le livre d'Ucelli, une statuette votive, dédiée au culte de Diane, a retenu mon attention, sans doute à cause de la posture des mains et du cadrage choisi au moment de la reproduction photographique.
Je l'ai à nouveau photographiée pour former une sorte de séquence. Le halo qui apparaît sur les images est dû à l'utilisation d'un flash. La dominante rouge / chair a été obtenue en m'interposant entre l'éclairage et le livre. Ma main était en effet posée contre l'ampoule.
Chaque tirage est encadré sous passe partout individuel, de façon à déplacer mes retailles de la statue dans chaque cadre, comme si l'intégralité de la statue se tenait, immobile, derrière la surface cartonnée occultante.
Tornade, temps calme (Nemi) 2020
Manipulation en laboratoire, papier baryté 7,5 x 7,5 cm, sous passe partout 30 x 30 cm
Lors de mon premier séjour à Nemi, en été 2020, j'ai réalisé des repérages numériques et argentiques, équipée d'un boitier moyen format rudimentaire. En rinçant l'un des négatifs papier 6 x 6 cm obtenus, représentant une vue du lac, j'ai remarqué que le filet d'eau que je faisais couler sur l'image créait une espèce de tourbillon.
J'ai donc réalisé une photographie au smartphone cet instant de rinçage, puis ai inversé ses valeurs, afin d'obtenir un tirage positif de mon invention en laboratoire de ce faux phénomène atmosphérique. Il peut se reproduire et varier à l'infini.
Longue vue 2020
Assemblage de deux cartes postales représentant le lac de Nemi aux alentours de 1930, 9,8 x 23,5 cm, sous passe partout 40 x 50 cm
Je collectionne les cartes postales d'époque représentant le lac de Nemi, réalisées et diffusées à des fins touristiques entre la campagne de fouilles de 1920 et la période où les navires sortis du lac ont été incendiés.
J'utilise ces documents pour réinventer le lac en fonction des possibilités offertes par les cadrages des auteurs de ces images. Ici, j'assemble par exemple deux vues du lac, morcelé par manque de recul au moment de leur enregistrement photographique, ou parce que la forêt, aux arbres empiétant sur les bordures mêmes du lac, empêche toujours le regard d'avoir une vue d'ensemble et dégagée.
Ce simple geste me permet de reconstituer cette étendue d'eau, de redéfinir ses contours et de lui attribuer une topographie alternative.
Arsenal 2021
Série de 19 tirages jet d'encre pigmentaire sur papier Hahnemuhle Photorag, 18 x 14 cm chaque, dissociables