Isabelle GIOVACCHINI 

Quand fond l'image
Nicolas Giraud, 2015

Le geste d’effacement qui revient sans cesse dans le travail d’Isabelle Giovacchini, pourrait être pris comme une manière d’occulter les objets qu’elle manipule. Mais ce serait oublier que ces objets eux-mêmes sont des objets qui résistent au regard. Les effacer devient alors une manière de les souligner, de les rehausser pour mieux rendre visible leur caractère insoluble.

Il en va ainsi de ces lacs de montagnes, doublement inaccessibles, à la fois en tant que lacs, surfaces énigmatiques, et en tant qu’ils sont souvent nichés dans des vallées reculées **. Il ne s’agit pas seulement de les exposer, mais plutôt de respecter cette distance, de la rendre sensible. Ainsi l’artiste emploie des gestes qui l’aident à mesurer cet éloignement. Elle commence par des études. Devant l’ordinateur, depuis le confort abstrait /désincarné du bureau, elle choisit d’abord une image, la photographie d’un lac, une fichier d’assez basse définition, qu’elle transforme en négatif, grâce à une imprimante de bureau.

Elle pourrait se rendre sur place, elle pourrait chercher à réduire l’éloignement, mais au contraire, l’imprimante, l’image trouvée, la fibre grossière du papier, lui permettent de rendre sensible cette distance qui la sépare, nous sépare de la surface du lac et de ce qu’il recouvre. Lorsque il est tiré, le négatif papier produit une image douce, pâle, une image qui rappelle la facture des calotypes du 19ème siècle, encore un écart. Puis la surface du lac est frottée avec du ferrocyanure de potassium qui efface toute trace de sels d’argents, transformant le lac en une surface à nouveau vierge, une surface de projection qui rappelle les écrans radicalement blancs des Theaters du japonais Hiroshi Sugimoto.

Il y a ce souci constant pour Isabelle Giovacchini, de rendre visibles, ou tout du moins sensibles, les opérations qui mènent éventuellement à une image photographique. C’est une manière pour elle d’en interroger le modus operandi. Rendus visibles, la technique, comme le paysage, cessent soudain d’être évidents. Les lacs blancs produits par une succession de gestes précis ne jouent plus la comédie d’un paysage au réalisme transparent. Au contraire, ils se donnent dans toute leur puissance d’absentement. Lac noir, Lac du diable, Lac de la femme morte… Les villages ou les corps engloutis, tous ces paysages qu’oblitère la surface du lac, peuvent désormais s’inscrire sur cette surface blanche comme une page, un creux dans une image désormais sans fond.


* “Le titre de cette série d’études est issu de la célèbre phrase “Quand fond la neige où va le blanc ?“, aphorisme présumé de Shakespeare, auteur dont on remet régulièrement en cause l’existence littéraire. Enigmatique et lacunaire, il me permet de faire allusion aux lacs formés par la fonte des neiges, à la latence photographique, aux mythes invérifiés.” Isabelle Giovacchini
** Les lacs sont tous situés dans le massif du Mercantour, pour l’aspect minéral et abstrait du paysage qui les entoure.

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