La révélation est en marche
Par Alexandrine Dhainaut, Le quotidien de l’art / N° 688 / Vendredi 10 Octobre 2014
Isabelle Giovacchini a exposé au Salon de Montrouge en 2010. Depuis, elle a notamment participé à la Biennale de Bourges en 2012 et à l'exposition collective « A l'endroit, à l'envers » au Centre photographique d'Île-de-France, à Pontault-Combault (Seine-et-Marne) en juin dernier. Portrait.
« Plasticienne peut-être, photographe certainement pas ».
C'est en ces termes que se définissait en 2011 et se définit toujours lsabelle Giovacchini. Contradiction s'il en est pour cette ancienne étudiante de l'École nationale supérieure de la photographie d’Arles, qui utilise la photographie comme principal moyen et comme sujet quand elle recourt à l'installation ou à la vidéo. Mais si elle tient ses distances avec le médium photographique, c’est pour mieux le servir et en montrer les mécanismes. D’abord parce qu'elle le malmène, préférant l’expérimentation
technique, quitte à créer des « aberrations » visuelles, et de fait, regarde davantage du côté des pionniers de la photographie, de Gustave Le Gray, à Etienne-Jules Marey ou Eadweard Muybridge. « Ils étaient en phase de découverte, connaissaient des échecs mais avaient une latitude énorme pour expérimenter. La photo archaïque est selon mol la plus expérimentale », souligne l'artiste. Essayant à chaque projet de « repartir de zéro », Isabelle Giovacchini rejoue en quelque sorte ces erreurs ou imprécisions techniques. Dans Ambre, un morceau du fossile orange est placé devant un projecteur à diapositives. L'impossibilité pour l'appareil de faire la mise au point automatiquement redonne vie à la résine translucide qui semble inspirer et expirer. Pour Mehr Licht, série de tirages non développés que l'artiste a débuté en 2010, elle saute délibérément certaines étapes décisives de la révélation d'une image : elle laisse pauser pendant quelques heures à la lumière naturelle un papier vierge en contact avec un papier en négatif, puis le fixe immédiatement sans passer par le liquide révélateur. Conçues à partir de cette méthode contradictoire qui a consisté à « sortir le laboratoire photographique à la lumière du jour », les images latentes ainsi obtenues ont transformé les noirs en rose pâle, comme fanées dès la naissances. Non moins conventionnelle, son utilisation de papiers différents en fonction des projets (qu’elle prend soin de préciser dans ses titres), remettant en cause un certain standard qualitatif du support photographique. Ce travail de et sur la lumière (ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’artiste use d’images préexistantes directement en lien avec la lumière : radiographies, diapositives ou vitraux) génère un corpus d’images douces en apparence, parfois veloutées, à la manière des calottes de William Henry Fox Talbot. D’aucuns diront précieuses. Mais elles portent en elles une face obscure, voire morbide, qui les rend plus complexes. Les organes passés aux rayons X révèlent des paysages abstraits en sépia qui ne sauraient dissimuler la présence inquiétante de corps étrangers dans la série éponyme. Le Cri, montage vidéo d’après une image photocopiée d’Augustine, célèbre patiente du professeur Charcot, ici figée dans une crise d’hystérie, vire progressivement au noir total. Les vitraux de la chapelle du Rosaire de Matisse (Mehr Licht (vitraux)) ont perdu leur couleur au profit d’un monochrome rose ; l’abat-jour de Man Ray passe du peu visible au presque invisible (Mehr Licht (Lampshade)). Le titre même de toute cette série illustre parfaitement ce contraste lumino-morbide : « plus de lumière », ultime phrase qu’aurait prononcée Goethe sur son lit de mort. « Ce sont des formes avortées, mais elles ne s’effacent pas, elles sont amenées à perdurer. J’essaie de faire perdurer un état d’instabilité ou de malfaçon, un peu contre-nature. Mais pour moi, c’est une opération de sauvegarde, j’essaie de tirer du morbide une autre lecture », explique l’artiste. C’est même vers le comique que tendent certains titres ou pièces d’Isabelle Giovacchini : Précipité dessine les contours à peine visibles sur fond noir d’un oiseau qui s’est encastré dans une vitre ; ou Sauter le pas, vidéo présentée au 55ème Salon de Montrouge qui repousse par un montage en boucle, le moment de la chute - fatale- depuis le premier étage de la tour Eiffel de Franz Reichelt, célèbre tailleur base jumper avant l’heure, que l’artiste maintient ainsi en vie.
Isabelle Giovacchini observe, bricole, prend une grande liberté avec son médium de prédilection, l’épuise même, pour obtenir des images au bord de l’évanouissement, jusqu’à peut-être, in fine, s’en passer totalement ? « J’aime beaucoup Strindberg, qui avait des idées délirantes et un peu spirites sur la photo. Il rêvait de faire de la photographie sans appareil. Je rejoins un peu ce rêve là ».
Texte publié dans le cadre du programme de suivi critique des artistes su Salon de Montrouge, avec le soutien de la Ville de Montrouge, du Conseil général des Hauts-de-Seie, du ministère de la Culture et de la Communication et de l’ADAGP. |