Karim GHELLOUSSI 

Sans titre 2011-2014
Matériaux divers, 164 x 150 x 124 cm


« Lorsqu’elle me demande si je peux revenir sur le rapport au corps dans mon travail de sculpture, je lui réponds avec assurance qu’il y a une relation évidente, établie par la tradition occidentale, entre la sculpture et le corps humain, qu’il soit celui du créateur ou celui du spectateur. Des rapports de masse, de volume, d’échelle, d’équilibre, de verticalité ou d’horizontalité définissent la relation à la sculpture. Malgré
le voile de lassitude qui semble se poser sur son regard, je poursuis sur le même ton : « Une sculpture résulte de la succession des gestes qui ont contribué à sa réalisation, elle porte les traces, voire les stigmates de l’espèce de chorégraphie dont elle procède... » Je perçois une pointe d’impatience, peut-être même d’ironie, à la manière dont ses doigts pianotent sur la table. Dois-je lui dire qu’à titre personnel cette question du corps m’intéresse peu, du moins pas en ces termes ? La réalisation d’une sculpture s’inscrit dans un temps singulier qui mobilise de l’énergie, des forces, un corps en mouvement, comme tout objet manufacturé d’ailleurs, et j’hésite à lui dire qu’une chaise bon marché dialogue aussi étroitement avec le corps humain que n’importe quelle sculpture le figurant. Ce n’est évidemment pas la réponse qu’elle attend. J’évite de croiser son regard et me concentre sur l’agitation fébrile de son index. De vagues considérations métaphysiques la contenteraient sûrement et nous pourrions alors passer à autre chose, mais je ne peux m’y résoudre. Il faudrait que j’arrive à lui dire sans la décevoir que, de ce qu elle appelle le corps, ne m’intéressent que les gestes, les postures, les manières. La courbe d’un dos par exemple qui ploie sous une charge, le jeu même de ces doigts sur la table, le mouvement d’une main qui porte une cigarette jusqu’aux lèvres puis l’en dégage subitement après que la tête a basculé vers l’arrière. « Le corps humain est une sorte d’étalon qui permet de prendre la mesure du sublime, du trivial et du ridicule, hasardais-je, mais je ne saurais en dire davantage. » Elle me sourit, passe la main dans ses cheveux. »
 
Retour