Un vaste tonnerre vivant
Par Paul-Emmanuel Odin
Avant que ne commence le chantier de la privatisation de l’Hôtel Dieu de Marseille, ancien établissement public médical, avant qu’il ne devienne en 2013 un hôtel international 5 étoiles, Fortino fait un ultime adieu à ce lieu. Il déclenche la plus grande colère poétique et met en pièces le destin commercial et la vanité post-politique de l’histoire. Comment ? Par une mise en jeu violente et burlesque du corps.
C’est dans cette vidéo que Fortino s’empare, pour la première fois, du cochon comme animal iconoclaste, en se masquant avec une tête de cochon en plastique. Ce personnage reviendra dans ses peintures et quelques performances. L’improvisation sauvage de la vidéo Hôtel Dieu est le point culminant de cette pantomime animale. C’est un geste irrépétable, primitif, féroce, sensuel. D’une fraîcheur inouïe.
La fougue créatrice de Fortino passe à chaque instant par les relations violentes et incongrues que son corps entretient acrobatiquement avec l’espace et les objets. Joie pataphysique, désespoir rock, obscénité dérisoire. Il renverse les bureaux, les papiers, les objets, raye les portes, s’introduit dans les trous des plafonds ou des murs, détruit ce qui est déjà en ruine et abandonné depuis des années, il se glisse à l’intérieur des meubles, s’emmêle dans des pelotes de laines multicolores qui se défont pour former une sorte de traîne majestueuse.
Le geste d’André Fortino relève autant du vandalisme (dont il emprunte l’agressivité) que d’un épuisement pervers du réel dans sa fulgurance.
Lorsqu’il arrive ainsi dans la salle de cinéma, et qu’il glisse un long tube en plastique par un petit trou qui se trouve là dans le mur au milieu de l’ancien écran, la proéminence gesticulante détient toute la puissance éjaculatrice d’un regard brisé et cassé, tordu, qui tournoie vainement et bruyamment.
Les occasions, les surprises, les découvertes, les trouvailles de ce type-là peuplent ce film. Quand la tête de cochon se recouvre d’un masque humain qui se trouvait là sur un mannequin médical, on retrouve toute la faille et la division d’un sujet indéchiffrable, d’un animal masqué en homme, d’un dédoublement des apparences qui a fait la magie du cinéma (on pense à certaines séquences de Cronenberg ou du cinéma fantastique). Ce corps-à-corps éperdu avec les espaces de l’Hôtel Dieu est une dérive nourrie d’un immense souffle qui fait sauter tous les masques. Une puissante émotion hypnotique s’en dégage. Et toute une agitation intérieure gronde d’un élan dadaïste avec son grand mélange de forces hétérogènes.
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