Gregory FORSTNER 

FUCK SANDY !

Un soir j’ai surpris ma petite fille feuilleter sur mon lit, ou plutôt lorgner, non, elle léchait de ses grands yeux phtalo un petit bouquin Taschen sur les affiches PULP. Il y a là les Pin up et les vrais mecs, les Harley et les crocodiles, les lolos des nanas et les pistolets, les 44 et les petites tenues. Elle savourait, elle savourait. Mais putain, mais pourquoi pas ? Ces images sont si inoffensives que dessus je pourrais tout coller, de l’intérieur, sans même m’en rendre compte. Alors j’ai vu ma petite fille devant ses illustrations offensives pour elle, inoffensives pour moi, et je me suis dit que ces images étaient suffisamment molles, assez vides pour que je puisse, à partir d’elles, rediriger la peinture.
Le lendemain j’ai attaqué un premier tableau 250x200 cm, une nana blonde avec un pistolet braqué sur le spectateur - là c’était sur moi. Elle est en bikini safari kaki. Je la baiserais bien ! Je lui fais de belles hanches. Elle a un casque du bush, comme on se l’imagine en Afrique. BOUM ! Deux heures après, BOUM ! I’m done ! Je commence un autre tableau. Une nana et son mac derrière une table de jeu, les jetons verts et rouges sont empilés devant le bonhomme. Il fume une clope, elle fume une clope, elle est assise sur ses genoux. Elle est blonde cadium, il a un chapeau de marin. On y croit pas du tout, par contre on est sûr que elle c’est une pute, et que le gars lui veut pas du bien. La robe est rouge clinquant, c’est une fille facile – peinture facile ? La fumée de la clope passe dessus dessous. La fumée, que c’est beau la fumée en peinture. La fumée en peinture c’est un geste qui se perd dans le geste. C’est un geste qui se perd dans le fond de la peinture et ensuite qui passe. Sa portée révèle l’espace du sujet. Le mimétisme de la fumée, c’est comme la découverte du pet en peinture, ou de la bière qui bave, c’est le souffle tenu dans le poignet. C’est jubilatoire et si facile à faire quand on connaît le sens de l’air à l’intérieur du tableau. Si on ne connaît pas l’air, alors on se plante systématiquement. Mais quand on connaît sa chanson, le poignet tourne dans le bon sens et avance là où l’air va. L’effet n’est pas nécessaire. C’est la beauté d’un geste gratuit. C’est une gâterie dans l’esprit d’une galanterie. BOUM ! À nouveau deux heures, fini le tableau. Je me recule de toute la profondeur de l’atelier, dix, douze mètres… Merde ! Il manque un truc, au-dessus du gars, sur le mur au-dessus de lui, il manque un truc. Il pense à un truc… Ah, oui, ça y est ! Il veut la baiser, j’avais oublié ! Je m’étais perdu dans la fumée ! Dans le frais, je dessine un gars avec une grosse zigounette poilue qui éjacule… Non, c’est assez couillon, mais ça marche pas, merde ! J’efface du revers de la main pour retrouver le fond du mur. Bon… Donc, il veut la baiser… FUCK ! Voilà, il ne pense qu’à ça ! J’écris « FUCK » sur le mur, sur le fond du tableau, mais ça ne suffit pas… Fuck qui ? Quoi ? Comment elle s’appelle ? Il me faut un nom, un nom idiot, un nom con, qui dit chatte, qui dit blonde, qui dit salope ! J’écris « SANDY », « FUCK SANDY » en majuscule. Voilà, pour une blonde facile, « Sandy » c’est bien ! Je réalise ensuite que « Sandy » c’est l’ouragan qui a détruit ma plage à New York. Mon espace de liberté c’est Hurricane Sandy qui l’a détruit. Depuis on ne peut plus y aller, obliger de rester de l’autre côté d’une barrière flanquée d’un Ranger ruisselant sous le cagnard. J’ai acheté une bagnole rien que pour aller sur cette plage avec ma famille. Pour aller nager et surfer tranquilou… Parce qu’à Far Rockaway, je pouvais y aller en métro mais les Surfers là-bas sont aussi mal élevés que les taxis new-yorkais. Et le spot est rikiki, tout le monde se bat pour la même vague. Par contre, j’aime bien parce que ça parle toutes les langues ! Mandarin, espagnole, allemand etc. Mais sur ma plage, j’ai les vagues pour moi, l’horizon pour moi, l’espace entier pour moi… Mais Sandy était passée. Je me venge, je trace en majuscule « FUCK SANDY » ! Bref : deux tableaux 250x200 cm en quatre heures. Je suis content de moi. En bon nageur, j’ai bien nagé ! Tout était là : la fumée, la pute, le gars con, et l’air de l’atelier dans le tableau. C’est ça que je vois. J’espère que d’autres verront ce que je vois et bien plus encore. Faut pas être compliqué quand ça marche, c’est cool, tout est cool quand un tableau tourne bien, c’est comme une bière sous la canicule. Une Leffe brune fraiche qui atteint la tête sous le soleil. Ou bien c’est l’odeur de la viande. Un jour un copain m’a dit que ma peinture avait l’odeur de la viande. J’ai trouvé ça magnifique, je n’y avais pas pensé ! La peinture en un souffle. Moi ça me va. Je ne suis pas compliqué. Chez moi, la viande rouge se mange quand elle est cuite à point.

FUCK SANDY!
One night I caught my youngest daughter, on my bed, leafing through, or rather ogling—no! her phtalocyanine eyes were licking a small Taschen book on pulp-art posters. There are pin-up girls and real guys in there, Harley Davidsons and crocodiles, girls’ tits and pistols, .44 magnums and skimpy outfits. She was relishing them, relishing. Shit, man: why not? These images are so inoffensive that I could stick everything on them from the inside, without even noticing it. And so I saw my youngest daughter in front of these illustrations that were so offensive to her, so inoffensive to me, and I told myself these illustrations were soft enough, empty enough that I could start from them to redirect painting.
The following day, I got going on a first painting, 250 by 200 centimeters, a blonde girl with a pistol pointed at the viewer—here, me. She’s sporting a khaki-colored safari bikini. I could fuck her! I gave her beautiful hips. She’s got a bush helmet, the kind people imagine in Africa. BAM! Two hours later, BAM! I’m done! I start another painting. A girl and her pimp behind a gaming table, the green and red tokens piled up in front of the guy. He’s having a smoke, she’s having a smoke; she’s sitting on his lap. She’s a cadmium blonde, he’s wearing a sailor hat. Nobody’s buying it, but still you’re sure about her, she’s a whore, and the guy means no good. Her dress is a flashy red, that girl is easy—an easy painting? The cigarette smoke goes this way and that. Smoke, it’s so beautiful in painting. Smoke in painting is a gesture that loses itself in gesture. It’s a gesture that gets lost in the painting’s background and then moves on. Its scope reveals the space of the subject. Mimicking smoke is like discovering the fart in painting, or foaming beer, it’s the breath held in the wrist. It’s exhilarating and so easy to do when you know the direction of the air in the painting. If you don’t know the tune, then you mess up every goddamn time. But when you know its song, the wrist turns in the right direction and goes where the air is going. There is no need for effect. It’s the beauty of a gratuitous gesture. It’s a treat in the spirit of a gallant gesture. BAM! Another two hours, the painting’s done. I step back as deep as the studio will let me—10, 12 meters… Damn! There’s something missing, above the guy, on the wall above him, there’s something missing… Hmmm, right, that’s it! He wants to fuck her, I’d forgotten all about that! I’d gotten lost in the smoke! In fresh paint, I draw a guy with a big hairy dick ejaculating… No, it’s stupid enough, but it doesn’t work. Shit! I erase him with the back of my hand, to find the background of the wall. All right... So, he wants to fuck her… FUCK! That’s it, that’s all he’s thinking about! I write “FUCK” on the wall, on the background of the painting, but that’s not enough… Fuck who? what? What’s her name? I need a name, an idiotic name, a damned stupid name that says “pussy,” that says “blonde,” that says “bitch.” I write “SANDY,” “FUCK SANDY,” in capital letters. That’s it: for an easy blonde, Sandy’s good! Then I realize that Sandy is the hurricane that destroyed my beach in New York. It was Hurricane Sandy that destroyed my corner of freedom. Since then, we can’t go there, we have to remain on the other side of a fence with a Park Ranger sweating his ass off in the brutal heat standing by. I bought a car just so I could get to this beach with my family. To go swim and surf in peace… Sure I was able to get to Far Rockaway on the subway, but the surfers over there are as rude as New York City cab drivers. And the spot is tiny; everyone is fighting for the same wave. Still I like it: all languages are spoken there—Mandarin, Spanish, German, etc. But on my beach, I have the waves to myself, the horizon to myself, the entire space to myself… But Sandy came through. I’m taking revenge, I write “FUCK SANDY!” in capital letters. So: two 250-by-200-centimeter paintings in four hours. I’m happy with myself. I’m a good swimmer; I swam well! Everything was there: the smoke, the whore, that stupid guy and the air in the studio inside the painting. That’s what I see. I hope other people will see what I see and much more still. You can’t be complicated when things are working out, it’s cool, everything’s cool when a painting runs smoothly; it’s like a beer in the scorching heat. A cold Leffe dark ale that goes to your head under the sun. Or it’s the smell of meat. One day a buddy told me that my painting had the smell of meat. I found this magnificent; I hadn’t thought of that! Painting in a breath. Sure suits me! I’m not complicated. With me, red meat should be eaten well done.



 
The Collector's Girl Friend 2013
Huile sur toile, 250 x 200 cm

 
Fuck Sandy 2013
Huile sur toile, 250 x 200 cm
Collection particulière

 
Blondie and the Sons of Bitches (on the Beach) 2013
Huile sur toile, 180 x 290 cm

 
Beauty Queen, Vanity and the Sons of Bitches 2013
Huile sur toile, 250 x 200 cm

 
Very Bad Trip 2013
Huile sur toile, 250 x 200 cm

 
Very Bad Trip-2 2013
Huile sur toile, 250 x 200 cm

 
The Uncertainty of a Sure Thing 2012
Huile sur toile, 250 x 200 cm

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