Lucio FANTI 

I nipoti della rivoluzione 1969
Huile sur toile, 180 x 142 cm
 
Lenin in vitro 1970
Huile sur toile, 162 x 30 cm
 
Chant folklorique pour un meilleur sommeil 1970
Huile sur toile, 162 x 130 cm
 
Doucement Galia fait dodo 1970
 
Jardin soviétique 1972
Huile sur toile, 160 x 130 cm
 
Les Nympheas 1974
Huile sur toile, 100 x 81
 
Inaugurazione della statua di Maïakowski 1971
Huile sur toile, 162 x 130 cm
 
C'est à la lumière de cette modeste lampe que Lénine exilé préparait les lendemains de la Russie 1974
Huile sur toile, 130x162cm
 
Le fauteuil de Lenine à Smolny en 17
1975
Huile sur toile, 162 x 130 cm
 
Baigneuses 1971-2017
Huile sur toile, 200x200 cm
 

Lucio Fanti est un peintre qui «  annonce la couleur ». Quand on lui demande ce qu’il peint, il répond (et d’ailleurs il suffit de regarder ses toiles) : « L’Union soviétique ». Pas moins. Et si on lui demande pourquoi, il répond par sa propre vie. Il a été élevé par des parents communistes dans la ferveurs de l’U.R.S.S, qu’il connut à 14 ans, tout un été (1959) dans un camp de pionniers, où commence à se forger cet « homme nouveau » dont l’idéologie soviétique a besoin de croire qu’il existe pour être quitte à l’idée qu’elle se fait du socialisme, et pour bien tenir en mai les enseignants et leurs pupilles. Pourquoi ne pas peindre l’Union soviétique, dans ses « images de soi » et dans sa réalité ? Il faut bien commencer, et quelque part. Il y a une enfance , et si elle dure dans l’homme, ce peut-être pour des raisons d’homme.

Mais qui peut bien vouloir dure un projet aussi démesuré que « peindre l’Union soviétique » ? L. Fanti n’a pas promené sont chevalet parmi les plaines , les monts les fleuves, le villes et les peuples de l’U.R.S.S. Paradoxe : C’est à Paris qu’il peint dans un atelier silencieux de la Ruche. Et que peint-il ? Il peint de sculptures, il peint des peintures, il peint aussi des « sujets » (la famille, dimanche,e sur l’herbe, l’entrée du camp des pionniers, etc.)toujours sur photographies. Des photographies soviétiques, naturellement, qui photographient des sculptures (Lénine, Maïakovski, etc., en buste ou en pied), des peintures (Lénine en déportation), des objets de musée (la table, la lampe de Lénine en Finlande, le fauteuil de Lénine en Sibérie), ou la famille, un dimanche, sur l’herbe, etc.
Un bon hégélien dirait : « L.Fanti peint la conscience de soi de l’Union soviétique. » Un marxiste dirait : « L.fanti peint l’idéologie soviétique officielle de l’U.R.S.S. : le type d’identité dont l’Union soviétique a besoin de se doter pour assurer l’unité officielle de ses « citoyen » et de ses « peuples ».
Et si on demande : mais comment donc faire pour peindre une idéologie ? L.fanti répond en peignant des photographies soviétiques officielles, composées par des photographes attentifs à leurs devoirs idéologiques. Sans doute l’idéologie soviétique officielle « existe » aussi dans de tout autres formes que dans la forme d’images photographiques. Mais elle « existe » aussi dans ces images, dans le traitement du « sujet » dans le symbolisme des personnages, dans le cadrage, le type de paysage, dans les statues, les statues, les statues qui peuplent les jardins, dans les statues et les tableaux qui habitent les demeures.
On ajoutera naturellement que, pou peindre une idéologie, et que ça se voie, que donc on voie que c’est une idéologie et qu’elle marche trop droit pour ne pas être boiteuse, il ne suffit pas de simplement reproduire une image : une image chargée d’idéologie ne se donne jamais à voir comme de l’idéologie en image. Il faut le travailler pour produire en elle cette minuscule distance intérieure qui la déséquilibre, l’identifie et la dénonce. L. Fanti pratique ce décalage implacable dans le silence de procédés variés : soit l’insistance sur l’insolite du non-insolite, soit le deuil ou la violence de la couleur, soit l’étrangeté de quelques papiers volant au ras d’une immense plaine accablée d’un ciel d’orage, ou d’hommes qui, sur la neige, lisent , et des feuilles s’échappent de leurs livres, soit même l’absence, témoins ces gigantesques pylônes de l’électrification du communisme à qui manquent seulement les soviets ! Mais les arbres d’un bois ont pris la place des hommes.

Qu’est-ce qui fait « travailler » Fanti sur les images de l’idéologie ? Il répond sans détour, et ses tableaux répondent : Maïakovski. Derrière toute cette iconographie soviétique, qui a statufié, avec sa propre idéologie, le visage et le corps du poète, il y a ce poète même qu’aucun granit du monde ne peut réduire en pierre. Car il a parlé, forcé les mots à dire le vrai et s’est tué. Le souffle coupé d’un poète est encore un poème, qui dit pourquoi il acceptait de vivre. Les écrits s’envolent, les paroles durent et le temps passé les rends plus dures que le métal. Lénine, Maïakovski : leurs statues dans L. Fanti sont comme des fantômes, surgissant d’une surprenante légèreté de la brume d’hiver, abandonnées dans le deuil des arbres nus. Quelques mots d’un mort, bien mort, toujours vivant dans ce qu’il dénonçait : Voilà de quoi révoquer toutes les images officielles d’un monde, et du monde.

Certes, L.fanti ne tire pas « les leçons » de drame inscrit dans le conformiste de ces images. Il n’entend rien d’autre que de la vivre lucidement : Voyez comme Maïakovski lui-même n’a pas «  vu » puisqu’il a dit, d’un vers banal quelque chose comme « la barque de la poésie s’est brisé contre la vie quotidienne ». Car si la vie quotidienne n’est pas un mythe, c’est qu’elle porte un autre nom.. c’est sans doute pourquoi L.Fanti se reprend lui-même à plusieurs fois pour le dire, mais comme en vain : quand cet adolescent rêveur ou las, adossé contre un arbre, attend la barque en loin qui , entre ciel et lac, ne parviendra jamais à al rive. L’homme tourmenté et maître de son art qui les peint est lui-même, à son insu peut-être, dans le tableau ou sa répétition.

Mais alors, l’Union soviétique n’est qu’un détour ? Oui, dirait L.Fanti qui , en dernier mot, ne peint que des clichés pour que ça se voie : les clichés des photographes quadrant-composant au 1/1.000 de seconde les clichés idéologiques, où certaine poésie même trouve à glisser sa platitude. Sommes nous en U.R.S.S où ici ? À la limite, la question n’a plus de sens. L. Fanti dirait : L’U.R.S.S m’est un détour nécessaire, pour parler de nous, de moi. Certes, mais pourquoi nécessaire ? Irrésistiblement me vient alors en mémoire le mot d’un ami soviétique « je ne quitterai jamais ce pays, incomparable pour comprendre car les choses s’y voient à nu, le vrai comme vrai, le faux comme faux, et chaque mot y porte à conséquence. Interdit de jouer avec les mots ». Interdit de jouer avec les images. L.Fanti le sait, qui « joue » avec les clichés, non pour s’en jouer, mais les faire voir à nu. Il n’y a que les rois nus qui règnent.

Louis Althusser
Paris – Mars 1977

 
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