Vue de l'exposition FOOD, Musée des Civilisations de l'Europe Mucem, Marseille, commissariat Adelina Von Furstenberg, 2014 |
Pour l’invitée
« Dans un grand plat, ma mère nous sert à manger. Dans un petit plat elle sert une autre portion qu’elle va poser sur un plateau. Elle couvre le tout avec son torchon de cuisine. Bientôt on offrira le plateau à l’ami de passage, au balayeur ou à l’éboueur du quartier. Et si vraiment personne ne presse le bouton de la sonnette, on servira ce plat pour le diner du soir » |
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La Sadaqa
« Quand on achète le pain, on en achète aussi pour celui qui tend la main. Et s’il n’y a pas d’obligation les autres jours de la semaine, le vendredi est le jour où l’on ne peut pas acheter son pain sans ignorer ces corps en attente. Donner à manger pour ne pas être mangé, donner à manger pour se faire pardonner, donner à manger pour laver ses pécher, donner à manger pour partager, donner à manger pour ne pas mourir de faim. » |
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Huile vierge, 2014
80x80cm |
Huile vierge
« Voyez-vous ce que je vois ? Je vois la barbe à papa que j’achetais en sortant de l’école. Ce nuage rose fluo, flottant, perché sur son bâton, animait les sorties de l’école. J’avais des nuages entre les dents, fondant, doux et sucré. Je vois quand « maa » soulevait le couvercle de sa grande marmite et qu’on penchait nos visages pour humer la vapeur safranée.
Je vois du Raibi Jamila, le fameux yaourt à boire d’un rose surprenant. On perçait le dessous du pot pour le siroter et on le replaçait au frais pour faire croire qu’il n’avait pas été bu. Je vois les milles saveurs du meilleur repas que je n’ai jamais gouté, Il avait été préparé pour le décès de ma tante. On dit que, mais vous n’êtes pas obligé de le croire, qu’en vous penchant sur cette assiette remplie d’huile, votre visage deviendra blanc comme neige. » |
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Le Garde Manger, 2014
74x74cm |
Le Garde Manger
« J’ai toujours vu ma grand-mère avec une clé autour de la taille. La gestion de sa réserve était celle d’une experte en comptabilité. Elle y entreposait son alimentation annuelle : la semoule roulée qu’elle avait pré-cuite, les olives et les citrons confis, la viande séchée et conservée dans le gras, la farine de blé soigneusement tamisée ou encore les vermicelles cheveux d’anges roulées à la main. Il y avait des piments séchés qui n’étaient pas seulement destinés à être mangés mais servaient aussi à nous frotter les lèvres si on avait osé dire un mensonge. Quant au piment doux il pouvait aussi avoir comme vertu d’arrêter les saignements de petites plaies.
Dès qu’on entendait le tintement de clé de ma grand-mère, on se précipitait derrière elle, on la poussait pour tenter d’entrevoir les trésors du monde-placard mais on n’y parvenait jamais. Elle seule régnait sur le garde-manger. Et puis un jour, j’ignore pourquoi, nous avons pu accéder au placard sans clé et curieusement j’avais même oublié qu’il fut un temps où une clé était nécessaire. » |
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