Caroline DUCHATELET 

À partir de matériaux recueillis sur place ou choisis en fonction du lieu ou d’une situation particulière, Caroline Duchatelet fabrique des poussières qu’elle travaille ensuite en fines couches successives sur de vastes surfaces planes.

Ses propositions sont comme des récits, concentrés à l’extrême, d’expériences sensibles, infigurables. Récits d’une forme de voyage, brèves traces d’un passage, des feuilles.

Intervalles de matière, réduite au moindre, le grain, la poussière, finement travaillée, puis inscrite, insérée dans le site choisi. Réalisations éphémères, souvent fragiles, pour un temps et un lieu donnés.

Il fallait que caroline Duchatelet vienne à Marrakech, ville de poussière et de vent, ville oasis toujours menacée, ville nomade qui gère l’éphémère dans la construction. Le matériau est partout à nu, murs de terres ocres, orangées, de la vieille médina, poussières grises des ruelles, blancheur profonde des seuils de mosquées, chantiers à vif des quartiers neufs, toujours en expansion, pour s’effranger en douars (hameaux) de terre et terrains vagues.

Elle a longuement arpenté la ville, ses différents quartiers, rencontré ses habitants, des artistes, des universitaires, des architectes, des entrepreneurs.

Elle a découvert des intérieurs au silence soudain, lumineux, aux architectures extrêmement travaillées, calligraphiées, dans le stuc, plâtre devenu dentelle, dans le bois de cèdre, sur les céramiques colorées: une écriture ornementale, collective et anonyme, gravée dans l’architecture, surabondance de signes - absence de l’image.

Elle a longuement médité à la table, dans la maison qu’avait habité Denise Masson, où elle avait traduit le coran, fenêtres appareillées de moucharabiehs mais ouvertes sur le grand jardin traditionnel.

Elle propose une double inscription de son travail:

- dans le patio vide et richement ouvragé des bureaux de la maison de la culture (riad Attaqafah), dans le quartier de Bab Doukkala de l’ancienne médina: une grande table d’écriture très simplement construite, pour recevoir un voile de poussières ramassées au dehors, cette terre de la rue, sableuse et sèche, omniprésente, que le vent soulève.

- à l’Institut Français, à la périphérie de la ville, bâtiment récent du quartier moderne et anciennement colonial: un large seuil creusé dans le mur de la galerie blanche, puis couvert d’une fine épaisseur de poussière de papier journal prise dans l’enduit.
Deux pièces qui articulent sensiblement les contraires, rapportant la terre du derb (quartier) au silence du patio, l’intime au monumental, le matériau de l’écriture à celui de l’architecture, l’acte individuel à l’œuvre collective.

Reine Prat

 

 
Poussières, terres et papiers Dust, earth and paper 1998
Riad Attaqafah, Marrakech, Maroc
Photographies Michel Teuler
 
 

Le riad Attaqafah, ancien palais devenu centre culturel marocain. Un couloir sombre mène à un patio couvert et vide.

Un silence soudain et lumineux, après l’agitation et la foule de la rue.

D’épaisses colonnes recouvertes de céramiques colorées soutiennent en arches décorées la base d’un haut toit en bois gravé, percé en son centre par une verrière. Les murs, ornés d’une infinité de motifs calligraphiques inscrits dans le plâtre sont devenus dentelles. Quatre grandes portes en bois de cèdre extraordinairement travaillées ouvrent l’accès à de grandes alcôves sombres transformées en bureaux. Plusieurs entrées : on ne fait que passer et traverser, vers le riad ou d’un bureau à l’autre, chorégraphie de mouvements croisés et silencieux.

Une grande table (250 x 130 x 70 cm) en contreplaqué brut est placée au centre du patio. Est déposée en plusieurs couches successives une feuille de poussières ramassées au dehors, cette poussière terreuse et sèche, piétinée, soulevée et omniprésente dans les ruelles de la médina.

La lumière du soleil tombe sur le plateau de la table par la verrière du toit, zénitale.
De loin, la terre a la couleur du bois.

A l’approche, la surface horizontale se différencie, la feuille devient perceptible.

 
Attaqafah Riad, a former palace transformed into a Moroccan cultural center. A dark hallway leads to an empty covered patio.
A sudden, luminous silence, after the bustle of the crowd and the street.

Thick columns covered with colored ceramics sustain the decorated arches of a high roof of carved wood, pierced in its center by a glass roof. The walls, ornamented with infinite patterns, calligraphies inscribed in the plaster, become lacework. Four large doors of extraordinarily fashioned cedar wood allow access to dark alcoves where the offices are located. Several entrances : one only passes or crosses through, towards the riad, or from one office to the next, choreography of crossings, silent movements.

A large table (250 x 130 x 70 cm) made of untreated plywood is placed in the patio’s center. The tabletop is covered with layers of dry, earthy, trampled dust gathered outside and omnipresent in the medina’s streets.

The sunlight, at its zenith, falls through the glass roof on the tabletop.

From afar the dust is the color of wood.

As one approaches, the horizontal surface differentiates itself, and the dust becomes visible.
 

 
Poussières, terres et papiers Dust, earth and paper 1998
Institut français
Résidences croisées Marseille-Marrakech : fondation Denise Masson (Fondation de France)/Office de la culture de Marseille/AFAA /service culturel de l’Ambassade de France au Maroc.
Photographies Michel Teuler
 
 
 
On accède à l’Institut Français, construction récente aux franges du Guéliz, quartier moderne et anciennement colonial, par l'avenue Mohamed V, rectiligne et encombrée. Puis par une rue irrégulièrement goudronnée qui se perd en un chemin caillouteux vers un parking-terrain vague, à l’extrémité duquel se dresse une colline creusée d’anciennes carrières, aujourd’hui investie par l’armée - murailles militaires en vigie sur Marrakech.

La galerie se trouve à gauche de l'entrée du bâtiment : c'est un renfoncement rectangulaire directement ouvert sur le hall. Un faux plafond masque en partie le plafond original.

Le mur de la galerie a été creusé sur une surface de 330 de haut par 220 de large et sur une profondeur de 4 cm (bords en biseaux vers l’intérieur). Une fine épaisseur de papier-journal réduit en poussières et mélangé à un enduit y a été appliquée, comme une vaste feuille prise dans le mur qui se prolonge de manière invisible dans son épaisseur.

De loin, une surface aveugle, une porte scellée, grise comme du béton.
A son approche, une poussière de papier à la texture poreuse et fragile.
 
One arrives at the French Institute, a recent construction on the outskirts of Guéliz, a modern former colonial district, by way of Mohamed V avenue, large, rectilinear and heavily traversed. An irregularly paved street follows, ending in a rocky path which leads to a parking-cum-empty lot, at the end of which rises a hill dug out of former quarries now used by the army - military walls keeping watch over Marrakech.

The gallery is to the left of the main building’s entrance : it’s a rectangular space opening directly onto the hall. A floating ceiling partly conceals the original ceiling.

One of the gallery’s walls has been excavated over a surface measuring 330 in height, 220 in width and 4 cm in depth (the edges are beveled towards the interior). A thin coat of newspapers, reduced to powder and mixed with coating paste has been applied, like a large sheet of paper snared in the wall and extending invisibly into the walls thickness.

From afar, a blank surface, like a sealed door, gray like concrete.
On approaching, a porous paper powder and its fragile texture.
 
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