Nicolas DESPLATS 

Vue de l'exposition issue de la résidence de 3 mois à la Fondation Vacances Bleues, Marseille, 2013
Installation in situ
- 1 tirage photographique sur papier mat Epson, 160 x 110 cm
- 32 tasseaux peints de 4,5 m
- 10 peintures acryliques, 16 x 22 cm
- 1 peinture acrylique, 160 x 110 cm
- 2 peintures acryliques, 55 x 38 cm
- 2 peintures acryliques, 195 x 135 cm
- 2 dessins, 30 x 22 cm
- 2 cartes postales
Photographies Marif Deruffi


La scène
Cette exposition clôt trois mois de résidence du peintre Nicolas Desplats dans l’Atelier de Vacances Bleues. Le lieu ici est un sujet de construction, à la fois sur le plan pictural comme sur le plan architectural.
A travers l’installation réalisée, l’artiste décloisonne littéralement la peinture. Le traditionnel châssis envahit l’espace, devient l’ossature à vif de cimaises absentes sur lesquels viennent se fixer ou se reposer des tableaux. Cette structure devient ainsi en quelque sorte le châssis-même de l’espace d’exposition mis en tension que l’on regarde à travers lui. Il s’agit paradoxalement d’être précisément dans le lieu tout en prenant une distance avec lui. On se confronte à une double mise en abîme. C’est l’Atelier, le lieu même de travail et d’exposition qui sert ici de modèle pour la structure comme pour les toiles, comment ses plans prennent la lumière, comment celle-ci tombe zénithalement au fond de l’espace, comment le sol sombre s’oppose à la blancheur nappée des murs. Une peinture rétinienne. La lumière est le fondement du regard. Elle impressionne la matière.
La peinture ici est un lieu de passage et de projection. On est dans une forme de Visitation. On retrouve dans cette idée d’installation un parallèle à l’esprit de la peinture pour Nicolas Desplats, à la fois lieu de sacralisation et édification païenne. On entre dans l’exposition comme dans sa chapelle.
Sous la verrière, dans le choeur, l’artiste a dressé une sorte d’autel où il mêle subtilement les mythologies : deux toiles reprennent la lumière zénithale et par un jeu de retournement dessinent une colonne de lumière sur toile, cachant une petite toile et des interventions sur cartes postales comme des jeux d’enfants. Dans les travées sont accrochés des petits formats, jeu de motifs entre l’abstraction du lieu et des « montagnes » comme écriture picturale automatique. Dans le narthex, une troublante photographie très picturale de l’atelier du temps de la résidence, posée en équilibre sur une barre comme un catéchumène posé en attente du sacrement : devenir une vraie peinture.
Luc Jeand’heur


Tirage photographique sur papier mat Epson, 160 x 110 cm

10 peintures acryliques, 16 x 22 cm et peinture acrylique, 160 x 110 cm
2 peintures acryliques, 195 x 135 cm


Deux peintures acryliques, 55 x 38 cm
Deux dessins, 30 x 22 cm et une carte postale
Peinture acrylique, 16 x 22 cm, 2013

Peinture acrylique, 16 x 22 cm, 2013

Peinture acrylique, 16 x 22 cm, 2013

Peinture acrylique, 16 x 22 cm, 2013

Vue de l'atelier


La quête du tableau
Entrer dans les tableaux de Nicolas Desplats, c’est s’immiscer dans des espaces que l’on pourrait qualifier de « vides orthogonaux » : des coins de murs, des angles de vue, sortes de grandes boîtes avec plafond, avec sol, avec des passages, des ouvertures. En fait, rien que de plus banal : des représentations de parties d’atelier où se fait et se refait en question le travail de l’artiste : un espace générique. Ici, une toile représente un sol, sur lequel est peinte l’ombre d’un tréteau, une autre toile représente un mur, contre lequel s’appuie l’ombre d’un ou plusieurs châssis, ou, dans une autre encore, l’ombre d’une toile blanche, vierge, vide, absente, éperdue dans sa nudité, est posée contre un mur qui la réconforte, comme un soutien. Le mur comme soutien de la peinture. Le mur qui cache à la vue et recentre le regard vers l’intérieur. Vers soi. Les ombres peintes en blanc, qui ne manifestent que le contour des objets, semblent les avoir vidés de leur substance, ou les faire apparaître dans une élaboration promise. Ces ombres sont des espaces quasi aporétiques. Des ombres blanches qui fonctionnent comme des négatifs. Pas d’objet visible qui fait ombre. Ces ombres blanches sont des fantômes…! Et tous les fantômes ont une histoire. Ici, serait-il en jeu l’histoire de l’Art, ou l’histoire de la peinture ? Ou quelque chose de plus ténu, il me semble, comme l’histoire du tableau ? « Qu’est-ce que peindre un tableau ? » se demande-t-on… L’artiste semble interroger dans ses tableaux les propres composantes de la tabula originelle : l’espace Renaissant, qui se traduit ici dans la perspective rationnelle de la « boîte/atelier », et dans le châssis et la toile blanche tendue qui apparaissent à la même époque. Mais « Qu’est-ce que peindre un tableau ? » Qu’est-ce que peindre ? Bram Van Velde disait : « Je peins l’impossibilité de peindre ». Faut-il affronter le mur, celui de l’histoire, le sien propre, pour agir et réagir ? Un mur de soutien qui sous-tendrait la peinture, comme un plan d’intersection où se projette Le réel ? Un réel ? Une réalité ? Cézanne voulait brûler le Louvre parce qu’il y avait trop de modèles, comme autant d’obstacles, de murs à gravir ou à contourner… Trop de « phares » : Michel-Ange, Poussin, Rubens, Delacroix… Tous ces fantômes, et bien d’autres, qui hantent la création contemporaine, et ses créateurs. Peut-on remettre à zéro le compteur du temps ? Partir de zéro, ce chiffre magique par lequel on commence à « compter »… (En tant que peintre ?)
Nicolas Desplats semble mettre à nu (à plat) l’espace de son atelier, l’ombre des tréteaux, l’ombre des châssis, ainsi que des châssis nus, vidés de substance picturale, des toiles blanches immaculées, en possible devenir. C’est le motif de son travail. Pas le « motif » des peintres du XIXème qui sortaient de leur atelier pour faire du paysage in situ, non, Desplats, lui, reste dans son atelier et pose comme « motif », pris ici au sens de motivation, ce qui « le » motive, à savoir : le propos, le « propre » du tableau –sa propriété, ce qui le constitue– ce qui porte et supporte « La » peinture.
« Qu’est-ce que peindre un tableau ? » De ce questionnement, il en extrait et convoque dans ses peintures, on l’a énoncé : l’atelier-le-châssis-le-support-la-toile-vierge, en les représentant peints comme autant de signifiés. Le registre de sa peinture fait écho à des savoir-faire dit « classiques » : traces du pinceau, balayage de la brosse, coulures, non peints, composition savante, bords affirmés comme limites, superposition de couches de peinture, perspective atmosphérique, glacis, ainsi que l’effacement : sorte de palimpseste d’un espace temporel récurent. L’artiste ne dit-il pas « sous un de mes tableaux, il y en a peut-être dix, douze… » J’ajouterai qu’en dessous, il y a peut-être un, deux, trois siècles de tableaux peints…! Karel Appel disait : « peindre c’est détruire ce qui précède ». Autant de strates superposées, de feuilletage historique, iconique et mental. Sous le visible, l’invisible, mais une présence existante de fait.
C’est ce qui nourrit la création. S’il faut passer par des mots pour exprimer, expliquer un ressenti, une impression, une représentation, la peinture de Nicolas Desplats ne « raconte » pas ce que j’en dis. Elle n’est pas dans la narration du sujet, si tant est qu’il puisse se définir ici comme tel. Rien n’est appuyé. Pas d’insistance. Les objets sont en suspension, comme toute question ; sa peinture est dans le diaphane, l’opalescent, le translucide jusqu’au transparent, elle est toujours dans la lumière : celle qui nous dirige et nous aveugle, celle par qui les formes se révèlent et disparaissent, s’évanouissent. Sa peinture est un « à peine dit », un non finito, une part de vide énoncé comme tel, comme un propre « en-soi » : un accueil ouvert sur un espace à remplir, ou pas. Mais pour le remplir il faut « effacer » ce qui précède, ce qui obstrue l’espace précédent. Effacer c’est pouvoir dire, et redire. Mais dire, c’est aussi effacer, éliminer, puisqu’on ne peut pas tout dire.
Quoi de mieux alors que d’aller directement vers ce qui fait question, ce qui fait problème, ce qui fait obstacle à la création, si ce n’est en le peignant ? Peindre, non pas « Un » tableau mais « Le » tableau, le « sujet tableau ». Peindre la question, c’est aller vers la réduction d’incertitudes. Contrairement à toute réponse. C’est comme les mots qui nous font croire que l’on saisit l’insaisissable, la peinture se saisit de ce qui nous fuira toujours… Se mettre devant « ce motif », c’est accepter un face à face avec tout ce qui engage à la fois notre attirance, et notre crainte.
« Qu’est-ce que peindre un tableau ? » Les œuvres se succèdent, comme un leitmotiv du propos. Parallèlement, dans certaines de ses toiles la « figure » apparaît. Du moins ce qui « fait figure ». C’est ce que l’on peut voir dans des tableaux plus récents, et que l’on peut nommer « montagne ». Ce mot renvoie au paysage, à un sujet de la peinture classique. À un certain type de tableau donc. Le tableau. Encore. Mais la montagne ici n’a d’autre référent que la dimension mentale de la montagne. Pas de représentation d’un espace physique comme une Sainte Victoire cézannienne. Les montagnes de Nicolas Desplats sont une méditation sur la peinture. Sur ce que c’est que peindre, Ce que c’est qu’appliquer une trace qui signifie son auteur en tant qu’une pensée-là. La touche se dit et se contredit, s’affirme et se dilue. La montagne coule et s’évente, se perd dans des nuages de tons rompus. Elle émerge, comme toute montagne, et s’engloutit dans le vide blanc lumineux de la toile. Elle résiste à la comparaison des montagnes de la peinture chinoise parce que le vide fait aussi écho au silence. Parce que les parties absentes sont des présences immuables : un temps de latence où se construit « l’être-là » de l’artiste et de notre regard.
Invité par Vacances Bleues dans « l’Atelier » qui se veut à la fois lieu de travail et lieu d'exposition pour les artistes, Nicolas Desplats a fait de cet espace son atelier d’un temps, devenu aussi blanc et suspendu que son travail. Là, pendant les trois mois de travail in situ, il a interrogé les espaces conjoints à sa création. De la robe de lumière qui s’écoule du plafond dans cet atelier éphémère, il en traduit une sorte de montagne transcendée dans sa géométrie blanche.
L’effacement du sujet pour mieux l’approcher, mieux le renouveler… Effacer la peinture pour l’inventer.

Bernard Muntaner, Mai 2013


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