Nicolas DESPLATS 

 
 
 
Vues de l'exposition, Galerie du rempart, Marseille, 2014


IMPOSTURE. 2

La reproduction comme autre réalité d’une œuvre
Nicolas Desplats pose la question de la perte d’informations qui se trouve dans une reproduction car elle opère une distanciation avec l’original. Toute reproduction dans un livre, quel que soit le meilleur niveau de photogravure et d’impression ne peut donner à voir que ses propres limites : une réduction du format de l’œuvre, une indéfinition dans les détails, la perte de la lumière que donne en réalité la peinture issue de pigments qui ne peuvent être reproduits par les encres d’imprimerie, la texture du support, etc... La reproduction d’une œuvre, et plus particulièrement dans un livre, est une « imposture », un mensonge de l’œuvre, un simulacre, un pâle ersatz qui se bat avec la réalité qui l’a fait naître, une supercherie, une mystification, une escroquerie si on la place dans une comparaison inconfortable. Cependant, c’est souvent par la reproduction que nous accédons à l’œuvre d’Art, car elle est un viatique, pouvant susciter le désir d’aller voir ailleurs ce qui nous est caché dans l’image imprimée, et ce qui nous est peut-être promis d’espérer : le face à face avec l’œuvre originale.
Nicolas Desplats inverse ici le schéma: il fait de la reproduction un agrandissement de l’original. Le procédé a pour but d’agrandir ce qui, dans l’original, se fait ténu parce qu’il a été réalisé dans un format relativement petit. La reproduction va alors dévoiler ce qu’habituellement elle cache : les détails de l’œuvre. Ce hors échelle (230 cm x 340 cm), nous mets déjà « dans » le tableau, et non devant, car ses dimensions englobent le corps du spectateur. Alors, pris par cette surface inhabituelle d’une reproduction, nous voyageons sur la trace du geste imprimé, sur les coulures du pinceau, les révélations de giclures éparses, les transparences indicibles, les gouttes de peintures accidentelles, une certaine énergie de l’écriture gestuelle... Nous sommes devant une « autre œuvre ». La mise en espace dans la galerie du Passage de l’Art présente de façon claire cette différence entre l’original et sa reproduction agrandie en les plaçant diamétralement opposés. D’un côté à l’autre il y a une dialectique qui s’instaure entre l’original et sa «copie». Ce dialogue institué dans deux espaces opposés, qui prend en compte les parties formelles et sémantiques des images antagonistes, ne se résout pas dans la complémentarité des oppositions. Ce ne sera pas ce qui manque dans l’une des images et qui officie dans l’autre qui pourra circonscrire le discours. Les deux acteurs ne finiront pas de converser, laissant le champ libre à nos spéculations interprétatives.
L’imposture de la reproduction que souligne Desplats, en tant qu’elle n’est pas l’œuvre mais qui se voudrait l’équivalent, pourrait trouver son prolongement, ou plus exactement son antériorité dans l’histoire même de la peinture. Peindre serait peut-être la première imposture, puisque, vouloir représenter le réel, le copier, serait, dans l’intention du peintre de le « reproduire », de l’imiter de la façon la plus proche de la réalité. Or l’art n’est jamais la reproduction pure et simple de la réalité. Comme la reproduction n’est jamais la pure et simple réalité de l’œuvre d’art. Mais reproduire, c’est re-produire, on le sait. C’est à dire produire à nouveau, produire du nouveau. Une reproduction a donc sa propre autonomie, sa propre réalité, sa propre originalité. La grande reproduction que l’artiste nous propose comme questionnement est peut-être autant « l’œuvre » que l’original dont elle est issue... Elle peut se valoir d’un équivalent artistique.
Cela renvoie aux ready made qui ont usurpé, avec le génie de Duchamp, le statut d’œuvre d’art au début du XXème siècle. Cette reproduction agrandie de Desplats pourrait être dupliquée plusieurs fois sans que son impact physique et sémantique soit altéré. On le voit, la distinction entre reproduction et original, perd de la distance pour se confondre dans un maelström de la création originelle et originale. La copie ne « vaut » pas l’original, elle Est un Original. La plupart des sculptures grecques qui sont arrivées jusqu’à nous sont des copies d’artistes romains, et ne diffèrent pas de l’original. Plus proche de nous, les multiples de Warhol confirment que la reproduction et l’original ne font qu’un. Les reproductions que sont les affiches détournées par les Villeglé, Dufrêne, ou les images de magazines qui participent des œuvres de Rauschenberg (les combines painting), sont des ingrédients majeurs de l’œuvre, comme chez Picasso, Braque, Schwitters etc... Mais la reproduction dont nous parlons n’est pas incluses dans un espace où se marient d’autres présences plastiques : peinture, collage, graphisme, etc. Elle se veut ici une autonomie, elle se détache de l’œuvre initiale pour mieux en déclarer sa différence, son unicité. La reproduction s’affranchit, se libère donc en imposant sa distinctivité. Et c’est dans la singularité que l’originalité d’une œuvre s’exprime.
On notera dans la grande reproduction sur bâche quelques différences, comme certains gris colorés qui ont viré de tons chauds en tons froids, mais l’impact visuel qu’elle procure met en évidence la perte et la découverte qui se trouve dans ce changement d’échelle. Nicolas Desplats souligne qu’il faut prononcer le point « . 2 » de la terminaison du titre de l’exposition. « Usurpation, point de », s’entend alors comme une réversibilité : « point d’usurpation ». S’il n’y a donc pas d’usurpation, cette reproduction, en perdant son statut de duplication serait bien de l’ordre de l’œuvre originale. Ce va-et-vient entre affirmation et négation peut s’analyser aussi dans la série des peintures qui accompagnent l’exposition. Les montagnes que l’artiste peint se veulent une référence de la montagne, avec ses caractéristiques reconnaissables par tous, connotant par là, le thème du paysage en peinture. Mais, lorsque la montagne s’est exprimée sous le pinceau de l’artiste, et a pris sa place dans la toile, Desplats l’éclabousse de giclures, de traces nerveuses blanches ou colorées avec le désir de la faire disparaître sous une écriture abstraite, afin d’en entamer son absence. Ce geste pictural a pour effet de redonner à voir pleinement La Peinture, et de la remettre en Sujet : la « reproduction- imitation » de la montagne s’efface au profit de ce qui l’a faite apparaître en premier, la trace du pinceau. La grande reproduction va accentuer la présence du balayage de la peinture, mettant l’écriture gestuelle au premier plan du propos, en s’appropriant cette révélation grâce à la technologie de sa fabrication.
La reproduction qui nous est montrée pourrait alors agir comme un arrêt sur image, un arrêt sur la figuration, instaurer un entre deux, une suspension entre figure et abstraction comme un éloge fait à l’effacement.

Bernard Muntaner Septembre 2014
 
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