Gilles DESPLANQUES 

 
 
La traversée
 

La mer, par fragment, vue de dessus, sous la surface de l’eau.
Sur certains écrans, des corps oscillent en apesanteur dans la mer.
Nous traversons ces fragments de mer avec le point de vue, le regard de celui ou celle qui flotte, au centre d’un fond incertain, sans limites apparentes.
Les jambes nues ou vétus sont comme suspendues, elles sont droites, elles vacillent légèrement au gré de la houle.
Images très belles de ces flottements dans des lumières et profondeurs différentes. Le spectre de prise de vue va de la pleine clarté, des rayons diffractés par la lumière de midi à la quasi nuit où on distingue à peine la silhouette.
Ces images poétiques prises dans différents endroits des côtes francaises évoquent la traversée des migrants, elles tentent de dire le courage et la folie aussi de ces aventures individuelles pour affronter cette mer, étendue immense et fatale pour certains.
Ces images sont des témoignages des vivants envers les morts.
Elles pourraient se dire, se lire, se regarder, comme cela, comme la dernière apparition pour exprimer le souvenir d’un(e) ami(e) disparu(e). Mais l’espoir aussi, comme la flamme d’une bougie qui résiste aux assauts des tempêtes, et comme le dit si bien Erri de Luca, ils sont les pieds en marche traversant la mer.

La traversée est un projet en cours de développement, soutenu par une résidence à la Villa La Brugère en 2024


« Celui qui vient du sud et du 20 ème siècle a connu avec précision le sens du mot étranger. Il sait que le sud s’en est allé dans des bateaux et des trains pour s’ancrer ailleurs. »
« Nous sommes un désert qui marche, peuple de sable. Tant de vies détruites ont aplani le voyage, des pas ôtés à d’autres poussent les nôtres en avant. »
« Nous sommes les allées simples. Nous sommes les innombrables, redoublés à chaque case d’échiquier. Nous pavons de squelettes votre mer pour marcher dessus. Vous ne pouvez nous compter. Une fois comptés, nous augmentons. Nous sommes venus pieds nus, sans semelles. Aucune police ne peut nous opprimer, plus que nous n’avons déjà été blessé. Nous serons vos serviteurs, les enfants que vous ne faites pas, nos vies seront vos livres d’aventure. Nous apportons Homère et Dante, l’aveugle et
le pèlerin. L’odeur que vous avez perdue, l’égalité que vous avez soumise. De toute distance, nous arriverons à millions de pas. Ce qui vont à pied ne peuvent être arrê- tés. Nous sommes les pieds en marche pour vous rejoindre. Nous soutiendrons votre corps tout frais de nos forces, nous déblaierons la neige, nous lisserons les tapis. Nous sommes les pieds et nous connaissons le sol pas à pas. »
Aller simple – Erri de Luca

 
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