Monique DEREGIBUS 

Tour de l'Europe, Valence le haut, mars-juillet 1996
115 pages, co-édition Drac Rhône-Alpes, Ecole régionale des beaux arts de Valence, 1997
 
 
Cicatrice, Valence le Haut: marque laissée par une plaie après la guérison; trace d’une blessure, d’une souffrance morale, trace laissée par la guerre, ruines à peine relevées.
Au détour des photographies d’immeubles dans le développement du livre rouge, apparaît le visage tourmenté d’une femme: pierre d’achoppement, réminiscence, heurt violent; le visage ainsi révélé à lui-même rabat la présence d’hier dans aujourd’hui, nous livrant les résidus de mémoire contenus irréversiblement dans la surface urbaine; éclaboussures de sang, encore, jusqu’ici entre nos deux pays: Algérie - France.

La rencontre hasardeuse avec cette photographie-là, de Fatima S. avait été belle: l’album de famille d’un des habitants du quartier recelait ce photomaton et en le consultant, le visage tendu et douloureux m’a tout de suite saisie. J’ai su l’histoire: en pleine guerre d’Algérie, Fatima S avait été emprisonnée pendant de longs mois, torturée sans doute par l’armée d’occupation française. Son frère, trente cinq ans plus tard, tentait de m’en révéler quelque chose... encore ahuri par le fait que cette photographie minuscule ait pu retenir mon attention.. .Au matin de sa libération, Fatima S errait, sans doute tellement étonnée de se savoir encore vivante; pour en témoigner elle se rendit à son premier rendez-vous : un face à face silencieux avec la machine et l’éclair du flash...
L’arrivée du visage dans le livre c’est la présence de la photographie en tant qu’Histoire, et je souhaitais contenir dans ce portrait unique la masse des portraits de femmes réalisés pendant la guerre d’Algérie par Marc Garanger, alors appelé de l’armée française; lui-même pris au piège de ce pouvoir militaire qui le commandait, dût ôter leurs voiles à toutes ces femmes humiliées pour réaliser les photographies... Il nous a laissé en héritage un livre troublant, terrible et terriblement ambigu : document unique d’une forme de torture livrée à l’oeil, il invite son regardeur à visiter cet entre-deux où se marque l’espace flottant qui relie la victime à son bourreau, et fait portrait : je tentais par la présence de cette photographie découverte au hasard de mes recherches de réparer symboliquement cet outrage, me sachant néanmoins moi-même prise au piège de la violence irrésolue et in-négociable de tout acte photographique.

Cette traversée de la périphérie de Valence s’est immédiatement raccordée au travail sur le Nouveau Mexique. Le petit livre rouge devint ma première aventure éditoriale. Il y a dans la photographie et le livre un rapport étroit d’ appartenance et de statut, comme un double rôle joué par la reproduction, à la fois instrument critique et solution artistique. J’ai aussi voulu aborder ce travail photographique en soulevant ce paradoxe dont parle Walter Benjamin, citant Bertold Brecht dans sa « Petite histoire de la photographie » écrite en 1931. « La situation se complique, nous dit Brecht, du fait que moins que jamais une simple reproduction de la réalité explique quoique ce soit de la réalité. Une photographie des usines Krupp n’apporte à peu près rien sur cette institution, ni sur les rapports de pouvoir qui s’y jouent à l’ intérieur. La réification des rapports humains, c’est à dire par ex l’usine elle même, ne les représente plus. Il y a donc bel et bien quelque chose à construire, quelque chose d’artificiel et de fabriqué. »

Monique Deregibus
Coproduction Ecole régionale des Beaux-Arts de Valence, Drac Rhône-Alpes

Scar, Valence le Haut : a mark left by a wound after it has healed ; a trace of an injury, of moral suffering, a trace left by the war, ruins barely restored. Amid the photographs of blocks of flats taken as the red book developed, there appears a women's tormented face : stumbling block, reminiscence, violent clash. The face thus revealed to itself folds yesterday's presence into today, proffering residues of memory indelibly contained in the urban surface : spatterings of blood, again, even here, between our two countries, Algeria and France.
The chance encourenter with that photograph of Fatima S. had a pleasant one : in the family album of one of the local residents was a photobooth-set, and when I looked, the tense and sorrowful face immediately struck me. I was told her story : at the height of the Algerian war, Fatima S. had been imprisoned for long months and doubtess tortured by the French occupying army. Thirtyfive years later, her brother tried to reveal something of her… still stunned that this tiny photograph had caught my attention. On the morning she was released, Fatima wandered around, no doubt quite amazed to realise she was still alive ; to give testimony, she went to her first appointment : a silent face-off with the machine and the lightning flash…
The face's arrival in the book is the presence of photography as history, and I wanted to this portrait to contain the mass of women's portraits taken during the Algerian war by Marc Garanger, then a French army conscript ; he himself was snared by the military commanding power, wich ordered him to remove these women's veils, humiliating them in order to take photographs… He bequeathed to us a disturbing, terrible and terribly ambiguous book : it is a unique document of a form of torture committed on the eye, inviting the reader to visit the in-between marked by the floating space that connects victim with torturer, and taking a portrait : through the presence of this photograph - a chance discovery during my research - I tried symbolically to repair the outrage, knowing full well that I myself was trapped by the unresolved and non-negotiable violence of photographic act.

M. D.

 
 
Tour de l’Europe, Valence le Haut, mars juillet 1996
Vues de l’exposition Aux armes...et caetera, commissariat Dirk Snauwaert, Künstlerwerstatt, Munich, 1998

Tour of Europe, Valence le Haut, March July 1996
Pictures of the exhibition Aux armes...et caetera, curated by Dirk Snauwaert, Künstlerwerstatt, Munich, 1998
 
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