Dorota BUCZKOWSKA 

Dessin - gravure 2004
Aqua forta, 17 x 24 cm

Dessin - gravure 2004
Aqua forta, 17 x 20 cm

Dessin - gravure 2004
Aqua forta, 17 x 20 cm

Dessin - gravure 2004
Aqua forta, 17 x 20 cm

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Fonctions du corps à usage familier

Le corps comme le lieu des possibles d’une existence, marqué par le temps, sculpté par les expériences, trouve dans le dessin son expression la plus intime. La technique du dessin matérialise toute l’intensité des interrogations sur le sens du corps dans ses fonctions biochimiques.

Les lignes continues, obliques, précises ou saccadées, fines et instinctives composent des agrégats d’une émotivité unique. Les contours découpent l’espace du support et appellent la proximité du regard. Le dessin devient alors l’outil analytique d’une certaine perception du monde. Dessiner c’est voir, sentir et mémoriser ce qui concentre l’attention. C’est aussi échafauder une construction personnelle des représentations et leurs significations au cours d’un processus d’affirmation du soi. Le lien qui unie le corps avec son expression formelle est celui d’une profonde intimité que l’homme entretient avec ce qui caractérise son identité et avec ce qui concrétise sa pensée.

Cette relation entre l’intimité du corps et celle du dessin est apparente dans la série « HomeFuckingIsKillingProstitution » de Zuzanna Janin et dans les « Dessins – gravures » de Dorota Buczkowska. Le corps y est présenté dans ses deux fonctions fondamentales : en tant qu’enveloppe protectrice, qui à la façon d’une membrane, assure l’échange entre l’intérieur et l’extérieur, et comme un réceptacle, qui accueille les flux d’impulsivités affectives et sexuelles. Les deux séries explorent les limites d’un corps nu, imprécis, aux formes déterminées par sa viscéralité. Abri d’une organisation architecturale ou espace d’incursions érotiques, ce corps semble s’anéantir par la tension qui l’alimente. Saisi dans une torsion ou figé dans un système de circulation entre ses éléments internes, il devient par sa fonctionnalité schématique le résultat d’une restriction pragmatique.

La technique d’exécution participe à cette réduction. Les esquisses énervées aux traits rapides, expressifs et spontanés de Zuzanna Janin exhibent un corps « réifié » en même temps que les gravures cadrées, calculées et méthodiques de Dorota Buczkowska fixent la mécanique de son usage. La recherche chromatique dans le choix du support et de l’encre dans la première série, ainsi que la sobriété d’une opposition entre noir et blanc dans la seconde, relèvent d’une sensibilité particulière et invitent à une investigation personnelle de l’ensemble.

« Tout dessin prend, pour celui qui le fixe, un caractère de spirale dirigée vers le fond de son propre support, toujours plus loin en arrière, peut-être jusqu’à ce point où son mouvement se confond avec ce qu’il nous renvoie de notre propre perception : alors la feuille devient miroir, et notre regard lancé à la poursuite de cet enfoncement vertigineux apparaît comme le mouvement de notre propre conscience lancée à la recherche d’une représentation qui la fuit toujours.» *

Du support qui retient le geste (prolongement du corps) au tracé, qui fait naître la pensée, ces deux séries de dessins articulent une condition complexe d’un corps livré à ses fonctions. La proposition critique qu’ils contiennent ouvre l’espace d’une affirmation intime tout en confirmant l’idée, que le dessin échappe à la domination des différentes tendances esthétiques.

Anna Olszewska

* Serge Tisseron, Tintin chez le psychiatre, éd. Aubier, 1985, p. 148