Brigitte BAUER 

La montagne des tableaux de paysages
Depuis longtemps j'ai été intriguée par la présence quasiment constante de montagnes au fond des tableaux de paysages dits classiques. Que ce soit dans les tableaux de Nicolas Poussin ou dans ceux de Claude Le Lorrain, Philippe de Champaigne, Jacob van Ruysdaël, Pierre Patel, Le Dominiquin et bien d'autres encore, c'est en fait une seule montagne, une certaine forme surgissant de l'horizon qui revient sans cesse. Je sais que la présence de ces sommets lointains peut s'expliquer par des raisons symboliques ou par les besoins de la composition, j'ai beau savoir que cette montagne-type fait partie du répertoire usuel des éléments de paysage, et ce depuis longtemps, elle me parait pourtant être plus que cela.
C'est à partir de la montagne du fond que semble se construire le paysage, c'est sur elle que finit toujours par revenir le regard. Elle est à la fois point de départ et point d'arrivée. Sa constance et ses variations me sont devenues familières, nécessaires même.
Ici, la montagne s'appelle Sainte-Victoire. Ce lieu, quoique chargé comme aucun autre de références picturales et littéraires, est résolument charmeur (comme on dit d'un magicien qu'il exerce un charme). Ce massif calcaire surgissant de la plaine, ces couleurs constamment changeantes, ces chemins qui invitent à la déambulation et en même temps nous tiennent à distance. Comment en parler, puisque tous les qualificatifs appliqués à ce lieu sont devenus tellement banals ? Pourtant, il est difficile de ne pas succomber au charme, et il est impossible de tout voir, de tout saisir en une seule fois, en une seule image.
D'emblée, l'idée d'une série d'images s'impose, car l'émerveillement initial demande à être renouvelé, il me faut retourner sur ce lieu, souvent, pour regarder et essayer de comprendre pourquoi je reste sous le charme. Car il est vrai aussi que parfois l'emprise de la montagne devient trop forte, elle me pèse et elle m'agace, je n'ai plus prise et il n'y a plus d'images, alors je m'éloigne. Et puis j'y retourne. Au fur et à mesure que la quantité d'images augmente, la multiplicité des points de vue, les changements de saison et les variations de lumière font de cette montagne un paysage dont on ne peut faire le tour, dont on ne peut épuiser la diversité. Photographier la Sainte-Victoire - qui finalement se dérobe et reste inaccessible - c'est décliner à l'infini les indispensables questions de l'images : forme, couleur, lumière, construction.
J'avais juste voulu photographier une montagne, et c'est devenu un véritable apprentissage des choses du paysage. Le charme de la Sainte-Victoire tiendrait-il dans le fait qu'elle serait toutes les montagnes - serait-ce finalement elle, la montagne du fond des tableaux de paysages ?
Brigitte Bauer, in Montagne Sainte-Victoire, éditions Images en Manoeuvres, Marseille 1999.

Landscape painting’s mountain
The almost constant presence of mountains in the background of classical landscape paintings has intrigued me for quite some time. Whether it be in the paintings of Nicolas Poussin or those of Claude Le Lorrain, Philippe de Champaigne, Jacob van Ruysdaël, Pierre Patel, Le Dominiquin and still others, it is in fact one and the same mountain, a certain from springing up out of the horizon that recurs without refrain. I know that the presence of these distant summits can be explained through symbolic reasons or composition’s needs. And though I also know that this type of mountain has belonged to the repertoire of landscape elements for quite a long time, it seems to possess something more.
It is beginning with the mountain in the background that the landscape seems to take shape, and it is on the mountain that the gaze always returns. It is both the starting and end point. Its constancy and variations have become familiar to me, even necessary.
Here, the mountain is called Sainte-Victoire. Although loaded like no other place with pictorial and literary references, this places is decidedly charming (in the manner one might speak of a magician working a charm). This limestone mass springing up from the plain, these constantly changing colors, these paths which invite one to wander and yet keep us at bay. How to speak of these when one considers that all the descriptions applied to this place have become so terribly banal? And yet, it is difficult to resist the charm, and it is impossible to grasp all at once, in one lone image.
The idea of a series imposed itself from the start, for the initial wonder asked to be renewed, I often have to go back to this place to look and try to understand why I remain under the charm. For it is also true that sometimes the mountain’s grasp becomes too strong. It weighs me down and gets on my nerves. And then I return. As the quantity of images and the multiplicity of viewpoints amount little by little, the change of seasons and variations in light transform this mountain into a landscape one cannot encircle and whose diversity one cannot exhaust. Photographing the Sainte-Victoire – which ultimately steals away and remains inaccessible- is to infinitely raise those questions indispensable to images dealing with form, color, light, construction. I wanted only to photograph a mountain, and it has turned into a veritable apprenticeship on things dealing with landscape. Might the Sainte-Victoire’s charm not be the fact that it is all the mountains, that it is the mountain in the background of landscape paintings?
Brigitte Bauer, in Montagne Sainte-Victoire, Images en Manoeuvres editions, Marseille 1999.


Sans titre 1994
C-Print, 48 x 48 cm

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