Jean-Baptiste AUDAT 

-30-


Sans titre 1998
Installation de livres divers dans un box
Parcours d'artistes, St Gilles, Bruxelles, ech. 1/1

Nécropole

murs de silence
strates de sens
stèles anonymes
ici pas de hiérarchies
pas de héros
ici
on célèbre peut-être
cet objet
ailleurs condamné au feu
ou devenu marchandise
archéologie du savoir
couches de discours colorées
lumière ensevelie du sens
parures pour cérémonie funèbre
joyeux empilement
géométrique désordre du discours
labyrinthe vertical
fenêtre opaque
boucliers de mots contre la brute
sommes-nous
dans des catacombes où
survit la vénération souterraine
pour une écriture en surface condamnée
ou dans une froide morgue
antichambre de l’autopsie ?
René Pons



(...)


-35-


Nouveau testament, Pidgin 2001/02
Mobilier IKEA, 37 hauts parleurs incrustés, carte de l'Afrique
en grille d'acier galvanisé, carte de France en bois coloré,
bande sonore, ech. 1/1

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L'invisible est tissé de voix

L’invisible est tissé de voix, comme la forêt de lianes entre lesquelles passent les chants, les cris, les silences des animaux et des hommes.
Au commencement était l’inarticulé, puis vinrent les rudes premières voix, et le premier récit fut tissé, et la
parole circula de continent à continent, multiple kaléidoscope sonore.
Puis l’homme connut la possession et la dépossession du monde par la parole, car le jour où, pour la première fois, il nomma, il distingua et prit possession de l’objet qu’il avait distingué en le nommant, mais en même temps qu’il nommait le monde, il s’extrayait de ce monde en le posant devant lui, à l’inverse des animaux qui, eux, restaient consubstantiels du monde, et alors l’homme découvrit le doute et aussi le temps qu’il mesura, et il fit connaissance avec l’angoisse.

Alors, il inventa toutes sortes de langues pour exprimer cette angoisse et l’explorer de la façon la plus fouillée possible, au point qu’elle devint, pourtant singulière, un moyen pour les hommes de se rejoindre.
Ainsi, de rive en rive, par-dessus mers et océans, un chant fut tissé pour endormir la mort, mais la mort
immortelle et infatigable ne connaît pas le sommeil.
Pourtant, comme le chant était beau, et bien qu’il fut inutile, les hommes le conservèrent et continuèrent à le chanter pour eux-mêmes en grattant en cadence leurs plaies. Car, « la vie consiste à se regarder, comme le dit le Kaïdara, nous nous mangeons et nous remangeons et finalement la terre nous mange tous ».
René Pons



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Sans titre 2001/2003
Série Guerre d'Irak, feuilles de journaux roulées,
grilles d'acier galvanisé, cadre en fer, ech 1/1

détail

Parlerie

Que reste-t-il, lorsque son murmure se tait, de cette immense parlerie qui recouvre le monde ?
Dans une sorte de colossal bassin, l’information se décante. Des bulles de boue éclatent à la surface, lâchant ça et là des mots, quasiment rien, crevant une écume de
mensonges.
L’oubli souffle et secoue ces mots quasiment dénués de sens, même s’ils signifient, par leur présence fugace, la vie d’une menace dans la profondeur.
Le deuil recroise la paix ou la terreur, un visage apparaît puis disparaît, dérisoire, celui d’un tyran, d’un hypocrite ou d’un imbécile. Sous la surface, apparemment tranquille, une titan de violence se dissimule, déguisé en justicier.

Il n’a pas de visage mais un corps obèse de Saturne repu ; et surtout deux mains, deux mains énormes, ou deux griffes si l’on préfère qui, du soir au matin, ne cessent de faire des boulettes — et l’on sait le sens populaire de cette expression — avec des chiffons de papier au bas desquels figurent les paraphes de chefs d’état manipulés par une puissance invisible.
René Pons


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